CHRONIQUES D'INCARNATION TERRIENNE.

En supplément: Journal du jour

Je voulais intituler ce texte: "Journal d'un fou", mais le titre était déjà pris ou alors "Carnets d'un scaphandrier nyctalope" 

A ces profondeurs, plus rien n'a plus d'importance que les décomptes. On va droit devant, sans réellement tenir compte des nœuds, tout en espérant pouvoir faire surface, le moment venu.

"Il (dieu) est demeuré caché, sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusques l' incarnation; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité." (B.Pascal)

L'apprentissage de la vision &(ou) l'exercice du silence 

Samedi 30: La vision, pas la lucidité, pas la clairvoyance, juste la vue avec une bonne mise au point sur l'écran mental. Pouvoir tenir compte du mal autant que du bien.

Dimanche 31: La vie vaine autant qu'une nature morte. Ce qui est tragique ce n'est pas la catastrophe mais son attente. La vie en l'air, foutue en l'air par le trauma (chacun a son compte) - en l'air comme un ballon de plage, jamais prise au sérieux, toujours prise à la légère par ceux qui ne supportent pas la gravité.

Lundi 01: Quelque part en France on vient d'ériger un monument aux morts électronique sur lequel les noms de 27 000 victimes d'une guerre qui ne voulait pas dire son nom vont défiler. Ainsi donc, en ce beau troisième millénaire on ne croit plus à l'éternité de l'écriture des pierres. Il va sans dire qu'en cas de rupture du réseau les trois cippes virtuelles seront aveugles.

Mardi 02: Sur le parvis de l'Université ON a bombé la nuit dernière en lettres rouges majuscules d'un mètre de haut cette affirmation terrifiante sur laquelle passe la foule de la journée: j'ai peur

pas vous

 seuls quelques vieux profs ralentissent leurs pas. J'imagine le graphiste anonyme planqué derrière un pilier du grand hall en train de constater la terrible indifférence.

Certains soirs de grande fatigue je m'effondre dans un profond fauteuil et j'ai l'impression de voir toute ma vie se rassembler en une seule image cohérente comme les faces d'un Rubic's cube. Comment mon identité pleine de contradictions incompréhensibles pour moi-même peut-elle avoir l'air si limpide? A la dernière seconde de la dernière heure les souvenirs défilent comme un film et c'est "L'assomption de toute une vie dans le panorama d'un mourant".

Mercredi 03: La mort a encore frappé à notre porte ce matin: le père était vieux c'est normal.A l'hôpital, sans souffrance sous morphine. La mère aveugle dans son fauteuil se demande si elle va le suivre les jours prochains, l'époux du meilleur et du pire.

La vie comme un train fantôme dont on ne sort pas vivant.

Le panneau lumineux de la municipalité me lance, tous les jours à l'heure où coincé dans les embouteillages on se demande encore si la journée vaut le coup d'être vécue, en pleine figure "Dépistage du cancer du sein ... S.O.S. Amitié...Infos Sida...L'ORDRE DE MALTE LUTTE CONTRE LA LEPRE...ENFANCE MALTRAITEE..." et autres fantaisies noires qui naturellement sont conçues pour les autres et pas pour soi comme la banale PELOUSES INTERDITES. LA RECHERCHE DE LA RAISON (cartésienne, juridique, politique ou scientifique) est la PIRE des FOLIES. A QUELQUE INCONNU QUI M'IMPOSE SON PSEUDO-JUGEMENT: je lui réponds: T'es fou de vouloir avoir raison.

 

Jeudi 05: Ce matin, la boulangère m'a dit "bonsoir" sous prétexte que la veille elle était du soir et qu'elle confondait. Cela m'a fait penser à nouveau à la fois où pour les besoins d'un film il me fallait un lever de soleil; j'avais filmé un coucher parce que c'était l'été et que je n'avais pas le courage de me lever à 5 heures. J'avais monté les images à l'envers et les spectateurs n'y ont vu que du feu! Et donc, ce matin je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que les clients n'avaient pas meilleure mine le matin que le soir. Pourtant c'est le soir que les enfants viennent acheter les friandises. Le matin ils foncent tête baissée sous le poids de leur sac à dos. Certains jettent un oeil timide à la boulangerie en se disant que ce sera pour ce soir s'ils réussissent à courir assez vite pour avoir le bus de vingt.

Vendredi 6: Ce soir j'ai dit à mon petit garçon, de quatre ans pas encore, qui toussait: "faut que je te donne du sirop avant de dormir; et d'un coup d'un seul comme le hachoir il m'a rétorqué: "oui, sinon je vais mourir". Effrayé je lui ai fait comprendre qu'il ne fallait par dire cela comme s'il avait dit un gros mot. Alors il a trouvé: "oui sinon je vais me transformr en chenille". Certes, la seconde réponse me convenait mieux, mais je le faisais rentrer dans le discours des grands qui ont appris à ne pas "penser" au je-vais-mourir.

Samedi 7 - A Rio il y a des commerçants qui payent 50 dollars les escadrons de la mort pour qu'ils nettoient les rues des gosses aux sales gueules (en les tuant le cas échéant). A San Paolo, il y a tout juste dix ans on a bien vérifié qu'on précipitait des enfants attachés à une pierre du haut d'une falaise pour aussi "nettoyer". Et tout ceci se passe aujourd'hui sur la terre.

Dominicus ¡ - Le désespoir est le premier barreau de l'Echelle de Jacob. Je rêve d'ataraxie sans ombre d' illusion. Dieu inquiété par les hommes doit tirer fort sur ses Havanes.

Lundi 8 - Petit enfant rusé: de mon bureau je viens de téléphoner chez moi et alors que je te savais à l'école je t'ai entendu me répondre "allo" d'une petite voix timide comme si tu étais malade et que tu laissais tomber le combiné de faiblesse. Et maman qui ne venait pas comme si elle avait laissé seul dans la chambre son enfant. Par deux fois j'ai refait le numéro et suis tombé sur la même voix toujours au bout de trois sonneries avec la même tonalité et le même abandon. L'horreur me parcourut tout le long du dos en t'imaginant SEUL, "petit d'homme" comme je pense toujours les enfants, perdus sans doudous sur une couche d'orphelinat qui pleure le malheur; et j'étais décidé à courir à ton secours quand j'eus l'idée comique que tu avais tripoté les touches et enregistré un message d'accueil à ton insu. Ainsi je ne parlais qu'à une machine.

Mardi 9 - Le monde marche la tête en bas comme disent les braves gens. Bientôt Noël et le Diable qui se rit de notre irrépressible besoin d'urgence et de consommation. 80% des jouets qui tombent au pied des sapins sont Made in China par des ouvriers qui meurent d'épuisement et par des enfants de moins de 14 ans qui sont bien loin d'être protégés par les "droits de l'enfant" et tout court les "droits de l'homme". Comble de l'horreur ce sont les consommateurs les plus pauvres qui font le "jeu" de ce commerce macabre car les plus riches ont les moyens d'acheter des jouets plus chers Made in Switzerland. Je me suis laissé dire que si ces enfants là n'étaient pas exploités dans des usines ils se prostitueraient et mourraient du sida. Et donc une fois de plus il nous faut choisir entre la peste et le choléra tout en continuant à nous laver avec l'eau de notre conscience.

Mercredi 10 - Ce soir je me suis cogné la nouvelle information lumineuse de la municipalité ENFANCE MALTRAITEE n'y a-t-il donc que des mauvaises nouvelles? Je suis rentré la tête dans le sac en imaginant un enfant faisant en cachette le fameux numéro vert:

"Allo, madame, mon père et ma mère me donnent des coups tous les soirs". Il faut ajouter à tout cela que la phrase est chuchotée. Heureusement l'appel est gratuit. Heureusement ce petit là sait lire mais il a dû faire un effort de géant pour mémoriser tous les chiffres dans l'ordre (quand il a vu le panneau il n'avait ni papier ni crayon; il n'allait quand même pas demander un stylo à un passant: il avait toujours HONTE) .

Jeudi 11 - Je rêve d'un film qui s'intitulerait: "Le crime était complètement parfait" et en serait la stricte illustration. Certes il y a eu dans le cinéma et la littérature des histoires de criminels restés impunis mais on devine toujours une auto-censure sous-jacente qui fait que la société a l'air (au moins au second degré) d'être plus ou moins fautive de telle sorte que le véritable responsable est auto-puni. Seul, peut-être le livre "American psycho" échappe à cette loi majeure, encore que la dernière page en abîme d'une page centrale pourrait faire penser que tous les meurtres ont été rêvés.

Vendredi 12 - Onze ans d'éternité, c'est tout ce que j'ai connu: c'est pas assez. La mort de père est tombée raide à la vitesse d'un couperet. Il y en a qui disent : "jusqu'à quarante ans j'ai vécu avec insouciance et puis quand j'ai pris conscience à cinquante ans qu'il me restait vingt ans d'acceptables à vivre, avec beaucoup de chance, je me suis dit que j'étais en sursis et que j'allais devoir vivre dans l'urgence".

A 11 ans, tout petit encore, j'étais poussé dans l'urgence, comme un clochard ivre qu'on fiche dehors dans la nuit d' hiver. J'allais avancer en titubant comme un funambule.

Samedi 13 - Les nouvelles sont eschatologiques d'où qu'elles viennent. Les journalistes des grands médias, plus ou moins à la botte du gouvernement, annoncent tranquillement la naissance de bébés clonés, annoncent avant la pub pour les nouveaux radiateurs que 9 SDF (officiels) sont morts de froid pendant qu'on chauffe les pelouses des grands stades, que les bombes américaines vont bientôt pleuvoir dans le désert pour des oléoducs moins chers, que les Coréens du nord menacent le monde avec la bonne vieille BOMBE, que 75000 clients mangent à grande vitesse de la viande pas bonne dans des restaurants bénis par le système de la "sur-consommation", les télés servent la soupe quotidienne et les présentateurs n'ont plus qu'un slogan aux babines: "C'est rien que du bonheur!"

Dimanche 14 - R I E N d'inscriptible.

Lundi 15 - L'orgie des fêtes religieuses et surtout païennes de fin d'année étant passée je me décidai à me risquer dans un grand magasin de musique. De fait il y avait peu de circulation dans les rayons mais ma satisfaction n'a pas duré longtemps. J'entendis tout à coup une voix de Stentor (1) s'approcher de moi qui affirmait: "Oui madame mais en ce moment le cabinet n'est pas chauffé mais pourtant je veux que vous soyez examinée".

"Quelle horreur, qui c'est ce con?", m'exclamai-je à voix aussi hautaine que lui. Une cliente voisine m'a approuvé à voix basse.

Quant à l'autre imbécile du téléphone portable il a continué sa consultation à distance tout en fouillant dans les bacs.

Pauvre femme, pauvre malade; si on lui avait dit que celui qui détenait peut-être sa vie entre ses mains lui parlait en consommant pour ses loisirs! Heureusement elle ne voyait pas le visage du "médecin" qui pensait à autre chose. Si encore il avait eu le réflexe de s'isoler dans un coin. Mais non: le mépris total couronné de la totale impudeur qui caractérise souvent les "mandarins".

(1) L'homme à la voix d'airain dans la guerre de Troie qui criait plus fort que cinquante guerriers. Heureusement c'est aussi devenu le nom d'un jeu d'orgue.

 

Mardi 16 - Les photographies des lépreux fleurissent à nouveaux les panneaux publicitaires. Tout le monde s'en fout, le principal c'est qu'on puisse bouffer notre croissant en paix le matin.

150 000 morts par an , seulement par le cancer ! c'est pas grave puisque la mort fait partie de la vie! on nous l'a assez répété; il n'y a pas de quoi se révolter, on ne se bat pas contre des moulins à vents!

Des chiffres et des lettres.Cela ne veut rien dire: les nombres et les mots, on leur fait dire ce qu'on veut!

S.I.D.A. 10 000 morts par jour.

Les militants de la fondation Damien protestent: 2.000.000 de morts de la tuberculose chaque année, c'est trop. Croyez-vous? Pourtant quand un pays riche veut se lancer dans une guerre il trouve tout de suite une masse d'argent monumentale avec bien plus de zéros encore.

Mercredi 17 - Le monde est gris mais les enfants et les animaux sont en couleurs.

Enfin, sauf les enfants "Wanted" dont le portrait faxé en noir et blanc est affiché sur nos murs. On a sondé toutes les eaux troubles et gelées de la région, on a accusé tous ceux qu'on pouvait, et toujours rien. Tous les matins, comme des milliers de gens, je passe devant le visage perdu de la petite fille de neuf ans. Car à neuf années de distance de son jour de venue à la vie on est encore tout petit. Elle est jolie et ne fait pas peine. Elle a l'air d'être heureuse d'être sur la terre et il ne lui manque que la couleur. Enlevée, nous disent les radios et les télés. Parfois je regarde les gens passer devant l'icône. Personne ne semble y faire attention. Il est vrai que dans un tel grand hall ouvert à tout vent, une affiche de ou de moins... Alors une fois de plus je vais me planter devant et bien me la mettre sur la rétine.

Jeudi 18 - Le traits de la disparue sont derrière mes paupières autant que ceux de mes propres enfants ... et pourtant, je me dis que dans la foule de la ville elle pourrait passer à côté de moi sans que je m'arrête.

Un jour j'ai bien cru voir passer Thomas sur le trottoir d'en face...Lui aussi, quand je l'ai vu passer devant ses dix ans, avait une fossette au bas du menton, une raie au milieu de sa chevelure et les yeux légèrement en l'air comme s'il rêvait d'un autre monde (de fait).

Vendredi 19 - La vie en l'air c'est aussi la vie légère

quand on soulève les enfants haut vers le ciel avec ostentation

quand dans les manèges on aime monter dans les avions

quand on se balance très haut, très loin et très forts dans les jardins d'enfants

quand on descend dans le Grand-huit de la fête foraine et que cela fait des "remontées" dans le bas-ventre (car le bas-ventre c'est encore le ventre et c'est là que les petits ont la migraine).

Vendredi 20 - La "disparue" a disparu des ondes. Les enquêtes ne donnent rien. Silence radio, black out et chacun de se dire en caressant la tête de sa progéniture: "en principe, cela n'arrive qu'aux autres". M. Le Maudit n'est pas mort même s'il ne s'en va plus en sifflotant.

Samedi 21 - Après avoir revu à la télé le chef d'œuvre d'Alain Resnais "L'amour à mort" avec ses inter-titres ténébreux, je me disais que ce qui manquait à l'image venue des écrans électroniques c'était la profondeur du noir et la neutralité du blanc. Le noir et le blanc sont encore de la lumière alors que sur un écran de cinéma, le noir est l'absence de lumière et la nuit totale de la salle (il faudrait éteindre les indications lumineuses de la sortie) et le blanc renvoie à celui de la toile de l'écran sans lumière, à la feuille blanche sans les traces d'encre.

Dimanche 22 - Rien à écrire. Chaque chose, y compris les gens, est à sa place. Il n'y a que les lieux d'urgence où on s'agite: les hôpitaux, les salles d'ordinateurs des banques, les boulangeries après la messe; même les gares tournent au ralenti. Les enfants crient dans les parcs et les plantes poussent en silence.

Lundi 23 - C'est la "journée du suicide" et un docteur à la radio qui dit qu'aujourd'hui les gens n'ont plus de raison de vivre, comme cela, froidement, calmement et puis après le speaker annonce une chanson. On se suicide partout, sur le lieu de travail, en prison, en plein champ mais pas dans les hôpitaux: ON INTERDIT AUX MOURANTS D'EN AVOIR MARRE.

Mardi 24 - Il existe un mot technique employé pour l'aptitude qu'ont les sous-marins à continuer leur route après avoir subi des déformations que les psychologues utilisent aussi pour parler de l'aptitude qu'ont certains êtres à continuer à vivre après un trauma: la résilience. Je me demande à combien de joules par cm2 j'en suis? Mais faut pas trop se poser de questions... "en avant! toutes!" en attendant l'implosion...

Mercredi 25 - La plaie s'est ouverte sur un gouffre de ténèbres mais, depuis est toujours restée "déclose".

Jeudi 26 - La photo de la petite enfant disparue a disparu des murs. Par contre, dans la boulangerie, une nouvelle photographie en couleurs, qui laisse voir un pull rouge, a fait son apparition. Les jours, les semaines et les mois passent et lassent les radios qui n'en parlent plus. L'enquête doit se poursuivre dans l'ombre, les parents ont dû s'organiser en association pendant que la petite fille ... mon dieu la petite fille ... et les Autres ...

Ce matin en me réveillant lentement, j'écoutais l'enfant jouer au sortir de son lit mais je me mis soudain à penser au terrible d'une chambre vide.

 

Vendredi 27 - l' ABSENCE de l' Autre est la Chance de l' exercice de la métaphysique, si ce n'est son couronnement.

Samedi 28 - Une sonde spatiale vient de photographier la Naissance de l'Univers (il y a 13 milliards d'années) et CELA N'A RIEN CHANGÉ. Certes tous les astrophysiciens regardent émerveillés une image qui ressemble à la surface des océans comme Tarkovski nous l'avait déjà montré 21 ans plus tôt dans son film Solaris. Il n'y a pas à dire la méta-physique des Russes sera toujours plus primordiale que la physique des Américains.

Dimanche 29 - La mère de Magritte s'est suicidée en se jetant à l'eau. Quand on l'a remontée morte, l'enfant peintre l'a vue, jupe retroussée sur le visage, laissant voir ses jambes nues et son bas-ventre féminin (de là sans doute les toiles de nus féminins où les corps sont recouverts de draps, déjà des linceuls?). Cela me fait souvenir d'un film "Week-end à Zuydcoote" où l'on voyait Belmondo militaire ramasser une belle jeune fille tuée après un bombardement sur une plage et la jeter sur une charrette à brancards. Malgré lui il avait le grade de l'Ankou. Soudain dans une descente le corps de la fille glisse en bas ce qui fait remonter se robe à fleurs au-dessus des cuisses: "Avec les chaos ça remonte tout le temps! ... Toute jeune. Elle t'a joué un drôle de tour la vie, ma pauvre cocotte; c'est dégueulasse." Cela me fait penser à Jean Seberg qui quatre avant demandait au même Belmondo avec son accent sexy "ça veut dire quoi dégueulasse?"

Et avec lui on avait envie d'être un incube pour lui rendre la vie qu'un obus de 75 lui avait fait sauter en l'air;

Lundi 30 - Le concierge a punaisé une nouvelle photographie de l'enfant-fille disparue. L'image s'incruste définitivement, nous forçant ainsi à la compassion. Et pourtant, il y a même une journée mondiale des "DISPARUS" avec congrès et colloques où les très vieilles folles (d'espoir) de la Place de Mai peuvent encore prendre la parole et accuser les Etats qui ne font toujours rien.

Mardi 31 - Pourquoi dit-on d'une femme qu'elle est "belle comme le jour" et jamais "belle comme la nuit" ? Pourtant?

Sans doute on a toujours un peu peur de la nuit s'il n'y a pas une petite lumière dans un coin de la chambre, dans un recoin de l'horizon ou aux confins du ciel.

Mercredi 32 - Maurice Blanchot est mort, il avait 95 ans, comme quoi écrire sur la mort toute sa vie n'a jamais tué: on devrait le faire plus souvent. Tout le monde est concerné, non (?), on peut bien y penser un peu. J'ai toujours trouvé rassurant que le mot "Blanc" soit inscrit dans son nom. Je crois même savoir qu'il avait les yeux bleus. Les articles tombent et on en a même parlé aux J.T de 20h. Sur l'écran, j'ai vu apparaître la même photo que celle qui est dans mon bureau; et pour cause: c'est une photo pirate captée au téléobjectif dans un parking de grande surface où l'on voit le coffre arrière d'une voiture et un chariot pour les courses. Je me disais qu'ils auraient au moins dû la recadrer "en hommage". Et, si ce n'était pas lui, mais un inconnu qui passait là pour lui prêter un corps ?

Jeudi 33 - Les pétitions de tous ordres pleuvent sur le net. Rien que ce matin j'en ai reçu trois:

1 contre la guerre...

1 pour sauver une petite fille de 10 ans atteinte d'un cancer du cerveau et qui n'a plus que 6 mois à vivre...

1 pour sauver une jeune femme qui va être condamnée à être enterrée vivante jusqu'à la tête puis tuée à coups de pierres...

Je ne suis peut-être pas normal mais il va me falloir plusieurs petits comprimés blancs pour dormir la nuit prochaine.

De surcroît ce sont très souvent des "hoax", des faux messages d'alerte, horreurs absolues commises par des fous!

Vendredi 34 ou 35 (je me perds dans le temps comme les enfants) Je connais des gens qui croient en l'Antechrist, je connais des journalistes qui nous menacent du pire, je connais des millénaristes, je connais des films sur la fin des temps, je connais bien les Tapisseries de l' Apocalypse de Nicolas Bataille, vieilles de déjà six siècles et pourtant la fin du monde a toujours été repoussée à une date ultérieure.

Dans mes rêves les plus pathologiques c'est comme quand le film qui se casse au cinéma et que la salle ne se rallume pas tout de suite: UN ECLAIR NOIR. C'est vrai que la "métaphore" a vieilli; il n'y a même plus d'interruption de l'image à la télévision: les enfants d'aujourd'hui ne savent même plus ce qu'est la "neige cathodique". Aucune image n'est plus rayée, aucune musique parasitée: c'est encore une façon pour les Maîtres qui nous gouvernent, de nous faire croire que le monde est LISSE et SANS BAVURES. Même les écoliers ne font plus de taches d'encre. La mémoire de trame vient combler le trou gris et le spectacle est permanent.

Il va y avoir la "guerre préventive" nous dit-on. A part ceux sur qui pleuvront les bombes le monde continuera tout comme avant. Je me souviens du temps où le napalm rougissait sans cesser la Piste Ho-Chi-Minh encore bordée de squelettes d'arbres et où ailleurs nous menions une vie douce et bien calme. De même au moment exact où les Khmers Rouges massacraient les Cambodgiens; même qu'on n'arrêtait pas de bronzer sous une canicule qui en 1976 aurait dû nous faire penser, sans doute, à autre chose.

Les FINS DU MONDE y'en a des mégatonnes tous les jours sur notre planète-chique ruminée par la création.

 

A quoi peut donc bien penser la tête du guillotiné, une fois tombée dans le panier de son?

Vendredi 36 - "et j'ai vu quand il a ouvert le sixième sceau, et ç'a été une grande secousse, le soleil a été noir comme un sac de crin, la lune entière a été comme du sang,

les étoiles du ciel sont tombées sur la terre comme un figuier, secoué de grand vent, jette ses figues vertes,

le ciel s'est retiré comme un livre qu'on roule et toute montagne ou île ont été bougées de leur lieu"

 Enfant, ce qui présentait pour moi le seul intérêt de la longue Tenture de haute lisse de Bataille (dont je ne savais si c'était le nom ou le sujet) c'était le petit lapin qui courait tout en bas des lés. "Et lorsque l' Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure..."

 Samedi 37 - Hier avec Petit Prince 3ans1/2, en faisant un tour en ville nous sommes entrés dans l'église par l'abside pour voir comment le soleil couchant faisait briller les orgues sous les sunlights des vitraux. Seule un femme, jeune encore, qui tenait une urne funéraire pleurait doucement en traversant le vaisseau. Quand j'ai voulu lui montrer la voûte il a dû se tordre le cou et m' a réclamé le dehors comme s'il avait peur de se perdre.

Dominicus 38 - Les médias se déchaînent avec la guerre qui fait de l'audimat. On nous montre une femme qui a voulu accoucher avant que tombe la première bombe et on s'empresse de nous préciser que d'autres vont naître pendant que des dizaines d'autres tonnes de bombes continueront de tomber et que le ciel de la ville fera la nuit carbonisée en plein soleil.

La perte du monde vécue jour après jour en direct et en couleurs avec des caméras embarquées dans les chars comme dans les formules 1 le dimanche après-midi.

Ah Dieu, que la guerre est moche.

LUNDI 39 - Il paraît que les neutrinos à 3000 mètres au fond des océans en ignition produisent des étincelles bleues identiques à celles du Big-bang d'il y a 14 milliards d'années. On danse au bal des tordus alors même que la vie scintille de tous les feux de Dieu. Des millions de téléspectateurs regardent en même temps les bombes éclairer le ciel de Bagdad et ne regardent plus jamais la voûte céleste sachant trop n'y rien voir.

MARDI 40 - Jadis, au temps du cinéma permanent quand on rentrait et pouvait sortir à toute heure, il m'arrivait, après avoir vu deux fois de suite le même film, de perdre toute conscience du temps. Le noir était alors absolu et la faisceau du projecteur en était un artefact, seul le mot "ISSUE DE SECOURS" rappelait aux spectateurs qu'ils étaient à l'intérieur. Dehors, on ne savait plus si c'était soir ou matin: il y avait même des salles comme le Midi-Minuit à Paris-Pigalle près de la place Blanche qui commençait ses séances de films fantastiques à 10h du matin et entamait sa dernière projection à minuit. Comment vouliez-vous vous y retrouver? Il y avait encore des ouvreuses et celles du matin, quand elles vous mettaient la lampe-torche dans les yeux pour faire semblant d'éclairer les marches, elles nous semblaient à tous encore plus adorables. Elles étaient les passeuses du STYX (1) qui nous conduisaient vers des mondes effrayants.

 

(1) Le Styx n'est pas comme tout le monde croit, le fleuve noir et glacé des Enfers mais un cinéma du Quartier Latin dans lequel on ne passait que des films fantastiques et qui avait la géniale particularité d'avoir des cercueils debouts et ouverts en guise de "balcon". Certes, au cinéma on est bien dans la "camera obscura" mais en même temps on a déjà un pied dans les ténèbres; ce qui avait fait écrire à un publiciste, sans doute conscient de cet inconvénient, "Quand on aime la vie, on va au cinéma".

MERCREDI 41 - A Nouveau la foire, je veux dire la fête foraine et ses manèges de la vie qui font rire les enfants et méditer les parents. Pour la troisième fois de ma vie je me retrouve à regarder la petite "Tête d'or" chevaucher les bolides immobiles et attraper la queue de la peluche pour gagner une partie gratuite. "Game over" mais il vous reste encore deux vies: vous pouvez rejouer. RIEN n'a changé (ou presque rien étant donné qu'à part les survivants et les monuments historiques qui entourent les forains tout a été remplacé: les réverbères sont neufs, les bornes en pierres ont été arrachées, les bancs en bois effacés, les odeurs de frites soufflées, les baraques de boxe et le strip-tease interdits, partis aussi les Liliputiens, la Femme-à-barbe et autres Freaks mythiques)

ET POURTANT... un vieux train-fantôme comme on n' en voit plus que dans les vieux films d'épouvante est resté cloué là, sur le sol de poussière damée. Il y a toujours le jet d'air comprimé pour soulever les jupes des filles mais depuis plusieurs générations on ne leur fait plus le coup; elle sont toutes en pantalon. Il n'y a plus que les petits qui ne réussissent toujours pas à passer dans le rouleau-tournant sans tomber et pleurer un peu. Il faudra encore encore une longue évolution de l'espèce humaine pour parvenir à cet exploit.

- Tournez chevaux de bois en plastique, je ne monterai plus jamais sur vous. Derrière moi il y a la cathédrale en allumettes de pierres avec la Licorne qui m'attend. Petit bonhomme rit aux éclats et fait sourire la fée blonde platine qui s'égosille dans le micro sur une musique qui ne se souvient plus des orgues de barbarie. Comment voudriez-vous que je sache quel jour de quelle année on est réellement?

MAIS tout aller et retour du passé au futur sera encore et toujours un déplacement dans l'espace. Si notre corps ne subissait aucun changement physique on trouverait déjà le temps moins court et moins lent. Le présent saisi dans son instant est du déjà mort, du déjà vécu mais ce n'est pas cela qui m'empêche de vivre dans un ILLUSOIRE et pourtant ETERNEL présent.

Dans Les Confessions (chapitre XX livre onzième) Saint Augustin écrivait: « Ce n'est pas user de termes propres que de dire: Il y a trois temps, le passé, le présent et l'avenir. Peut-être dirait-on plus justement : il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent et le présent du futur. Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire; le présent du présent, c'est l'intuition directe; le présent de l'avenir, c'est l'attente ».

JEUDI 42 - Je suis encore seul. "Tout est si lent, si lourd, si triste" quand Tu n'est pas là. Il y a bien la petite tête blonde qui me fait penser à toi et qui embrasse le téléphone parce qu'il fait semblant de croire que tu es devenue microscopique et que tu es cachée dedans; "petit chéri, l'espace qui nous sépare a rétréci maman"; l'espace, quand c'est long on dirait du temps! mais ce n'est qu'une illusion mathématique, ce n'est toujours que de l'espace qu'on arpente. Les nuages bougent, les molécules et les métastases galopent, les plantes poussent la terre, les os des enfants craquent tellement ils grandissent vite, la grande aiguille se déplace à vue d'œil, les glaciers font semblant d'être immobiles, la mère n'est pas un minéral, le prisonnier regarde suinter les murs, l'amputé médite amèrement à la vue du scialytique qu'on vient d'éteindre... tout est animé...

VENDREDI 43- Les épaves de sous-marins impressionnent encore plus le nageur que celles des anciennes caravelles. Plus je descends loin comme on gravit les degrés de l'échelle sans fin, plus c'est la dilution de l'écriture.

"Où trouverait-on plus de solitude, plus de silence" que dans la bibliothèque de Némo qui se plaisait à dire que l'humanité avait cessé de penser et d'écrire le jour où il s'enfonçait avec elle?

Perec, "I remember", aurait bien aimé faire un voyage en sous-marin avant de mourir.

Le fond des océans est noir même quand le ciel posé par dessus est tout bleu.

Le sous-marin fut lancé à la mer comme une bouteille. Presque sans air, il repose sur le sable et la balise sur batterie nucléaire enverra jusqu'à la fin des temps le sempiternel S.O.S

SAMEDI 44 - La guerre est finie c'est du moins ce que proclament les journalistes en même temps qu'ils exhibent comme un monstre de foire, un JOHNNY junior, enfant arabe devenu homme-tronc et orphelin par erreur: le missile aurait dû tomber plus loin! Il hurle sa souffrance à la froide surface optique des caméras du monde entier. Les images sont difficiles à soutenir, nous a prévenu le présentateur sur fond bleu mais cet enfant-martyr ils ont décidé, en salle de rédaction, de s'en servir comme emblème et de l'élever ainsi au grade de Petit Tambour. Certes, il y a de bonnes nouvelles: on vient de découvrir un test de dépistage d'un nouveau virus pendant que toutes les 15 secondes une personne dans le monde est contaminée par le VIH. Le soleil arrive; on va pouvoir aller dormir sur le sable chaud et oublier toutes ces sales histoires. Y penser ne change rien, ne cesse-t-on de me répéter. Je ne doute pas que certains vieux s'inoculent l' Alzheimer eux-mêmes tout en sachant que cela revient à signer un pacte avec le Diable...

DIMANCHE 45 - La tentation de ne plus jamais écouter les "nouvelles" à la radio (les news comme on dit stupidement aujourd'hui pour imiter les Américains) est de plus en plus grande. Après un tremblement de terre dans je ne sais quel pays très pauvre, des enfants d'un pensionnat hurlent ensevelis vivants et "prématurément" comme écrivait Edgar Allan Poe. Et après cela faudrait vivre la journée sans y penser. Cela me fait justement penser que j'ai encore essuyé la réponse de quelqu'un à qui j'énonçais un propos trop noir à son goût: "Ah! mais faut pas y penser".

Je reconnais qu'être normal c'est entre autre qualité:

savoir ne pas Y penser.

 J'accepte de ne plus le faire, à condition que personne ne me fasse y penser. Le problème, c'est que même en attendant de regarder un chef d'œuvre à la télé, un idiot de "publicitaire" ne se prive pas pour me balancer à la tête une pub pour la "convention obsèques" ou les nouveaux protège-slips.

LUNDI 46 - Musica.

MARDI 47 - Silencio...

MERCREDI 48 - Voici maintenant 48 heures que je ne sais plus rien des nouvelles du monde (si ce n'est ce dont mes proches me font part car je ne veux obliger personne à une telle "retraite"). N'écoutant plus que les radios classiques je reçois surtout des nouvelles des morts,

ainsi de Glenn Gould (alias Gold, comme Goldberg) que son génie avait rendu fou, à moins que sa folie soit son génie. Terrorisé par le public qui guettait la chute de l'artiste (pensait-il), il ne tolérait plus que la solitude des studios. Sa mère lui avait appris à détester Mozart et il finit par ne plus supporter que Bach et les barbituriques.

JEUDI 49 - Une amie m'a dit que Laurent Terzieff, le dos voûté sous le poids des ans, avait fait un discours très émouvant, la bouche plus tordue que jamais, le regard noir de douleur avec Roger Blin en filigrane, véritable éloge d'une actrice morte cette année, Pascale de Boysson, et m'a aussiraconté que ce matin elle avait elle-même appris d'un de ses amis que la femme de théâtre dont parlait Terzieff avait été la compagne de sa vie.

VENDREDI 50 - Black-out maintenu tant bien que mal. Comment ne pas voir les gros titres à la porte des tabac-journaux!

La mort fait vendre autant que les seins et les culs sur papier glacé.

SAMEDI 51 - "Faire grève est un droit reconnu à tous les salariés", sauf que la grève est devenue une cessation concertée du travail et beaucoup moins souvent un arrêt des machines à produire provoquée par les véritables prolétaires. A Petrograd en 1917, à cause de la misère et d'un terrible hiver les femmes ont manifesté pour réclamer du pain et le retour des maris qui étaient partis au front. Puis les ouvriers des usines Poulitov ont stopé les machines et se sont joints au défilé ... *

 

 DIMANCHE 52 - Sur le seuil de la boulangerie fermée, le dimanche il y a une vieille femme avec des huîtres sur un tréteau et à côté d'elle un enfant sage qui surveille ses journaux: il en a déplié un pour faire sa pub et espérer vendre tout le paquet grâce à un super gros titre bien accrocheur:

"LES PLAQUES TECTONIQUES DE L'AFRIQUE ET DE L'EUROPE SE SONT RAPPROCHÉES DE 7mm PROVOQUANT AINSI UN TREMBLEMENT DE TERRE QUI A FAIT 2500 MORTS."

- Tu crois que tu vas réussir à les vendre aujourd'hui?

- Oui, même que j'aurais dû prendre deux paquets, mais je n'ai pas le droit, je suis trop petit. A moins de 100 morts je ne fais rien mais dès qu'il y en a plus de mille je vends tous mes exemplaires. Alors avec plus de 2000 je vais me faire assez de fric pour acheter un jeu vidéo!

- Et si on titrait le nombre de gens qui ont survécu chaque jour à toutes les catastrophes de la planète?

- Oui, c'est une bonne idée ça! Mais je ne suis pas certain que les promeneurs du dimanche s'intéressent tant que cela à la vie.

LUNDI 53 - Plus je vieillis plus je méprise les "consommateurs d'art" qui rejettent le PATHOS, surtout quand ils le réduisent au "grand sentimental". C'est tout simplement ce qu'on éprouve; tout ce qui affecte le corps et l'âme, en bien et mal. Il ne s'agit pas de pleurer mais d'être ému MORALEMENT par un écrivain (orateur) qui emploie tous les moyens pour cela.

MARDI 54 - Je me demande, si à quatre pattes, les fesses en l'air, sur la table d'examen du proctologue, on pense encore avoir une âme ? Mais oui, m'objecte-t-on, cela n'a aucun rapport et puis on pense par LÀ aussi. En moi-même je me dis: "il y en a même qui ne pensent que par cet endroit là".

MERCREDI 55 - En ce cinquantième jour après les Pâques, l'Esprit Saint n'en finit pas de descendre sur les apôtres et La Loi est à nouveau remise à Moïse tandis que la planète Mars est à l'aphélie de la terre et n'a jamais été aussi proche depuis 25 000 ans; ce qui finalement, au bout de tous les comptes, nous ramène toujours dans notre banlieue même si la périphérie est à 56 millions de kilomètres.

JEUDI 56 - J'ai toujours dans la tête une suite de proverbes effrayants:

les meilleures choses ont une fin.

La vie sépare ceux qui s'aiment.

Tout passe et tout lasse.

Il n'y a que la fin de triste.

La fin justifie les moyens.

Tant va la cruche à l'eau qu'elle se casse.

Il vaut toujours mieux faire envie que pitié.

L'expérience est une lanterne qui éclaire le chemin déjà parcouru.

Et puis celui qui a ma préférence: A toute chose malheur est bon.

VENDREDI 57 - C'est la canicule avec plus d'un mois d'avance: 40°C c'est intolérable. Et pourtant si on se promène entre les galaxies, dans ce merveilleux univers matrice de notre vie, il fait quand même 270° qui eux mêmes sont d'une grande douceur par rapport aux 10 puissance 32 de la soupe de quarks, d'électrons et d'antiparticules. Jamais nous ne passerons le mur de Planck et ses 10 puissance -43 secondes, quand l'univers était des milliards de milliards de fois plus petit qu'un atome.

Au début était Presque-Rien qui devint un Enfer que Dante n'aurait pas osé imaginer.

SAMEDI 58 - ... Où est la "vérité" de l'Être? Est-ce dans le corps nu déposé sur le billard, jambes écartées, sexe visible, bras en croix piqués de perfusions, visage perforé de tuyaux et masqué de caoutchouc? ...dans les corps nus alignés comme des soldats fourbus de l'espèce humaine, dans les camps de la mort des dictatures de tout temps et tout pays?

...dans les corps nus jetés comme des sacs de pommes de terre dans les fosses communes qu'on recouvre de chaux?

...dans les corps nus des danseurs sur les scènes de théâtre,

...dans les corps nus dorés et huilés à point sur les rôtissoires des plages de tous les continents?

..dans les corps nus pourfendus et explorés des pornographes?

...dans le corps nu de Victor de l'Aveyron?

Pourquoi habille-t-on nos morts avec leur costume de marié pour "voyager dans l'éternité" ?

- Pour qu'ils sentent moins mauvais quand le couvercle est encore ouvert.

-Pour qu'ils ne soient pas déguisés en nouveau né.

DIMANCHE 59 - Quand on demande aux gens ce qu'il y a d'important dans la vie, ils répondent tous: L'AMOUR. Quoi d'autre de possible, en effet? la santé c'est pour les vieux qui savent que c'est ce qu'ils ont perdu!

LUNDI 60 - Les lasers à Argon, m'a affirmé un clinicien des yeux sont dépassés. La guerre des Etoiles, m'a dit un Président, est dépassée. Une vieille révolutionnaire politique avait dans son programme de rameuter ses troupes pour capturer les coffres-forts de Das Kapital avec les bras des prolétaires: on lui a fait remarquer que les capitaux changeaient de pays à la vitesse de la lumière par la magie des ordinateurs de la Bourse.

Et j'en suis encore à me demander, si la bonne vieille lumière noire qui ne rendait lumineuse que les publicités peintes sur les rideaux des salles obscures de mon enfance était une lumière FROIDE ? ? ?

MARDI 61 - Plus les jours de l'incélébrité passent, plus je me rends compte que je ne suis que le Facteur Cheval de l' @ criture, et encore, est-ce sans doute me donner un bien grand nom? En effet, toute création, toute construction (Pyramides comprises) est PRECAIRE. Alors, nous autres, qui savons que tout deviendra poussière, on écrit sur le vent dans le new-world du virtuel.

Ne jamais oublier que jadis, quand on balançait un feuillet mal écrit dans la poubelle, seulement broyé par le poing , le TEXTE était toujours là présent. Mais ici maintenant, si je ne valide pas (ou si la machine elle-même, le logiciel lui-même) par un ENTER fatidique, alors toute écriture retournera au néant.

MERCREDI 62 - "Chacun son tour, comme à confesse." encore une de ces expressions proverbiales qui vous retourne l'âme comme une chaussette. Chacun son tour comme dans la salle d'attente du spécialiste qui doit vous donner les résultats de vos dernières analyses qui diront si oui ou non vous en avez encore pour longtemps, sachant que le pas long est toujours la même réponse "6 mois, 3 mois, 1 mois: vous devriez prendre vos dispositions." Commander votre cercueil pour pouvoir choisir le coloris, réviser votre testament pour corriger les fautes et faire un petit bisous à vos enfants s'ils ne sont pas trop vieux et n'ont pas encore peur d'attraper La maladie.

J'ai connu quelqu'un qui me disait toujours à propos des gens méchants qu'il appelait les "Nuisibles"; "T'en fais pas mon petit gars, son tour viendra" - je ne savais pas exactement de quel tour il parlait mais je me doutais que ce n'était pas une plaisanterie. Grimper à la cime des pilônes de ligne haute-tension toute la sainte journée, y compris avec le soleil de plomb ou la glace d'hiver accrochée aux faisceaux 100 000 volts, la Guerre, la faiblesse de sa femme abandonnée de sa mère et mise à l'usine à 14 ans, les trahisons de ses amis et la terreur des S.S, avaient appris à cet homme originellement doux: la haine, la revanche, la jalousie et la mélancolie. Devenu vieux, il se vengeait même sur son chien adoré quand celui-ci ne voulait pas pisser sur le mur de la voisine d'en face, tellement détestée, uniquement à cause de sa fortune dont il ignorait la provenance, que de toute manière il aurait trouvée douteuse.

JEUDI 63 - Vrai de vrai, je viens de découvrir l'affiche d'un nouveau film: "VIVRE ME TUE". Certes, tout ce qui me fait "vivre" me fait mourir: l'amour (Resnais avait intitulé un de ses films: "L'amour à mort"), le travail, les enfants, la pensée de l'avenir ... le tabac, l'alcool, les médicaments, parfois même les loisirs, parfois même la culture (qui me plonge dans des abîmes de plus en plus insondables à rendre fou) avec en plus les aliments.

Et pourtant le Petit Prince est là qui forcément me fait penser à l'avenir dans lequel je suis devenu incapable de me projeter. A partir du moment où on vieillit on meurt indubitablement d'une overdose de passé. Je pense souvent à Frédéric Dard (et à son chef d'œuvre qu'est "Le monte-charge") qui, interrogé sur la vie, tout en parlant de sa passion pour les chaussures à 600 euros, affirmait que quand on avait réalisé qu'on était dans une salle d'attente en attendant la mort on avait tout "pigé". A l'aise Blaise, il y a aussi des pauvres gens qui piétinent dans des chaussures à 20 euros et dorment sur des vieux matelas et font un travail d'esclave antique mais ont du mal à mettre en œuvre le célèbre "carpe diem" ou "vivons heureux en attendant la mort". Il n'y a pas de Condition Humaine et de Sens Commun de la vie: il n'y a que des conditions d'hommes soumises aux classes sociales et ce sur toute la planète.

Rien de mieux que le rire d'un fou qui continue à se marrer même quand il est trop tard.

La littérature regorge d' Idiots qui très souvent comme le Prince Muichkine ne sont que ce que l'on appellerait aujourd'hui des dépressifs chez lesquels la volonté est affaiblie pour être la plupart du temps remplacée par un excès de pitié qui les fait passer du statut de simple d'esprit à celui d'esprit saint. Le petite Gelsomina de "La Strada" avec ses grands yeux sans cesse largement ouverts nous en fait souvenir. Ils voient ce que les autres ne voient plus jusqu'à ne plus voir les Autres comme ils sont: la lumière de la cécité. Et avec eux Ben l'idiot du Bruit et de la fureur "qui avait le regard bleu, vide et serein", la créature de Frankenstein (un enfant géant pas terminé - finalisé, dirait-on aujourd'hui), Bartelby de Melville qui "préfèrerait ne pas le faire" car être normal c'est être "homo faber" et mes préférés les "faux personnages" de Blanchot qui errent à la poursuite de RIEN si ce n'est de mots proférés en silence, de phrases qui les réveillent du grand sommeil. Les idiots, au sens premier, sont des illettrés ignorants, ceux qui savent de façon pragmatique.

Eddie Anderson, le Monsieur qui avait tout réussi, héros de l'Arrangement d'Elia Kazan me revient souvent en tête. Tout ce qui est fait pour épanouir l'homme le précipite dans une chute libre qui va droit à l'asile psychiatrique.

Edith Piaf hurlait dans "Les blouses blanches":"Non, j'suis pas folle, j'suis pas folle, j'suis pas folle". C'est vrai ça !?! L'homme animal doué de raison ne se dépasse lui-même que s'il fait des excursions (comme les fous du désert) hors des carcans que celle-ci lui impose. Ce qu'il faut c'est se laisser tenter par l'expérience des limites, qui de toute façon ne risque pas de devenir une accoutumance.

Vénus est comme un gros asticot luisant. Ce matin le petit écureuil a encore descendu son arbre à la vitesse grand V pour le regrimper aussi sec et disparaître pour toute la journée. La plage est déserte quand les estivants font leur toilette de chat et qu'avec 3 heures d'avance sur le soleil il n'est que 6 heures. Le sous-marin fait surface pour un temps et je perçois à l'horizon l'oeil luisant de son optique unique. Un nageur écologique fait la planche en attendant le temps des croissants chauds qu'il ne mange jamais quand il travaille. Un jour, c'est promis, je referai surface et naviguerai droit sur mes rails sans anicroche. Les livres de fous, les films de cinglés, les musiques déjantées; je les remiserai définitivement dans mon arrière-boutique, là où je ne pénètre que la nuit. Le submersible noir au ventre blanc émerge et se retourne dans l'eau d'émeraude comme un chat au soleil. Elle, est lentement allongée sur le sable, profitant de l'heure où le soleil ne brûle pas encore et Petit Prince dévale la dune à toute allure et se met à pousser des cris presque aussi stridents que ceux des mouettes. Cela n'a pas effrayé l' U-boot qui s'est remis dans le bons sens, périscope vers le ciel sans étoiles.

L'enfant n'a rien vu, seulement attentif aux algues qui se retournent elles aussi, poussées sur le sable par la mer méchante.

SAMEDI 65 - Saturne est invisible et cela tombe bien. La Voie Lactée c'est Nous, me disait mon grand-père, les nuits d'été: et l'enfant se demandait comment on pouvait être à l'intérieur de ce qu'on voyait si loin dans le ciel.

Confondus dans l'amas galactique.

Quand le ciel était couvert on me disait toujours pour me rassurer sur le temps de mes vacances: "Tu vois, il n'y a pas d'étoiles, sans doute qu'il va pleuvoir; cela fera du bien aux fleurs et les escargots pourront sortir" ... et je m'endormais en me demandant où avaient disparu toutes les âmes du ciel étant donné qu'une vieille femme qui ne sentait pas bon m'avait expliqué qu'il brillait une étoile pour chaque âme. Dans une famille, quand quelqu'un mourait peu de temps après il y avait une naissance et donc une nouvelle étoile.

Certes, personne ne pouvait prévoir que 5 ans plus tard le père de l'enfant allait mourir et que la pouponnière des cieux allait prendre du plomb dans l'aile. Balivernes, MENSONGES, au pied des tombes j'aurai bien du mal à croire les grandes personnes. C'est à ce moment que devaient brûler sous mon petit crâne les principaux circuits qui nous maintiennent bien droits les pieds sur terre. Les adultes ne font jamais assez attention aux histoires qu'on raconte aux petits.

Suis je jamais sorti, sortons-nous jamais d'un tel naufrage?

Pas la peine de se demander pourquoi le mauvais film "Titanic" a eu un tel succes. Guy Bedos ne s'y était pas trompé qui ne cessait de répéter sur tous les plateaux de télévision: "Vous verrez le XXIeme siècle on va tous mourir, cela va être un vrai naufrage: le Titanic". Même que tous les ravis de la crèche de la télé-poubelle riaient la bouche tordue. Ils avaient tous été EMBARQUÉS, comme disait Pascal, pour une croisière de plaisir (riches et pauvres, belle métaphore de la vie) et allaient presque tous (nous faisant ainsi croire qu'il y a des élus qui s'en sortent- perversité satanique-) périr dans un Enfer Glacial, Là où les contradictions s'abolissent.

Enfin, pas la peine de crier avant d'avoir mal (si ce n'est dans un fauteuil de salle de cinéma) nous n'en sommes pas là: la mer est calme, le ciel est bleu, le Capitaine veille à garder le cap, fermons les yeux, allongés sur les transatlantiques et vivons en paix.

Dominicus 66 - La canicule de Sirius a distrait les estivants de leur vacance ainsi que le meurtre d'une actrice de cinéma par un chanteur aux noirs désirs. 1 mort contre 15.000 dûs aux maléfiques rayons du soleil qui faisait monter la fièvre de l'air à 58° Celsius.

Cela aura au moins eu l'avantage de semer la zizanie dans un gouvernement un peu trop libéral qui ne se préoccupe guère de la misérable solitude de nos vieux parents et veut toujours éviter un sujet qui fâche (sauf quand il s'agit des morts des guerres d'Ailleurs):

LA MORT. "Ne parlez pas de la mort, c'est un sujet trop morbide" avait dit le Président à ses ministres."Et puis de toute façon les employés des Pompes Funèbres ne font jamais la grève."

Précisément on vient de me faire part de la mort d'un de mes anciens profs suite à une fameuse "longue maladie" et ce en pleine canicule.Maintenant il est au frais et à l'ombre pour toujours puisqu'il ne voulait pas se faire incinérer.

Au même moment Petit Prince et ses compagnons, ivres de "Que calor la vida" passaient ses jours à sauter dans la piscine. La balance existentialiste ne cesse d'osciller et mon complexe de Roquentin progresse autant qu'un mal qui ronge l'âme en profondeur.

LUNDI 67 - J'ai vu sortir de la FNAC, très exactement au niveau des portiques de sécurité, un jeune homme avec un tee-shirt imprimé à l'emblème du magasin avec un paradigme stupéfiant mais VRAI:

FUCK

L'anti-client bombait son torse obscène suivi de sa compagne petite culotte remontée jusqu'au-dessous du nombril lui-même percé d'un faux diamant. Mais vu leurs yeux j'étais persuadé que ces deux-là loin d'être de vrais rebelles étaient certainement des consommateurs dociles qui achetaient exactement ce que la Grande Entreprise voulait leur faire consommer.

- Vive la rentrée: les Maîtres au feu, les cahiers au milieu! les mômes tirent tous leurs parents par les basques pour qu'ils consentent une part de leur dur labeur à investir dans une virgule blanche qui n'a de sens que pour les financiers suisses. Les rues de la ville calme et silencieuse grouillent de la populasse qui cherche au moins chèr. Petit Prince et moi nous nous sommes réfugiés dans la cathédrale où l'organiste de chœur improvisait. Des touristes portuguais les yeux rivés sur Le Crucifié écoutaient en pleurant. La puissance des jeux d'orgue avait fait remonter les souvenirs d'une antique cérémonie funèbre.

Celle d'un ami avalé puis écrabouillé et malaxé avec la ferraille tordue d'un trente-huit tonnes à 3h du matin. Il avait tout juste 35 ans, la fleur de l'âge comme on dit sur la tombe de mon père, était musicien et venait de se faire faire une flûte en platine. En plein vignoble de Champagne, on chanta, on joua de la flûte en solo, et le curé crut bon de dire que Jean-Louis était revenu en Ithaque. Tu parles! connerie, sa femme il s'en était séparé depuis souvent et ses gosses il les voyait moins souvent que ses collègues de l'Orchestre Symphonique.

Mais enfin,

Le pauvre ULYSSE était un drôle de guerrier et un navigateur invétéré pas très pressé de retrouver sa Pénélope. Les Homérides racontaient les Rapsodes pour instruire les populations citadines pour leur apprendre à voyager et surtout comment commercer avec qui. Homère ne parlait pas de faux bateaux et de marins de légende. Et la Télémachie raconte bien la recherche du père et Ulysse fait tous les voyages par et contre les vents, tout comme nous de Charybde en Scylla pour aller jusqu'au pays des morts "On toucha les confins de l'Océan au cours profond."

Et Ulysse de se demander bien souvent "Pauvre de moi! en quel pays ai-je encore échoué?"

"Ulysse est de retour! il est ici, ce grand absent!" Vingt ans ont passé et ce fut à ses dires pénible pour Pénélope de résister aux contes des autres, car ici déjà sept siècles avant Jésus Christ la vie était "longue et lente". Les dieux leur ont refusé de vivre ensemble le bel âge

Et de parvenir côte à côte au seuil de la vieillesse"

Et Ulysse d'en rajouter pour lui faire comprendre qu'il va repartir car

"Un travail dur et compliqué, qui prendra bien du temps" doit être mené à terme.

Quant à mon ami joueur de flûte, il est revenu là en plein vignobles nobles à cause d'un CON DE CAMION et puis d'une place qui l'attendait dans une concession de son pays natal: Point-Barre, aucune mythologie là-dedans.

 

MARDI 68 - Un astéroïde de 8 millions de fois la puissance d'Hiroshima (effrayante échelle de référence) devait frapper la terre en 2014; mais il paraît que c'est une erreur de calcul!

Ouf, dit la journaliste: "on a eu chaud!" - pas tant que les 58 morts non réclamés par les proches. Le Président leur a fait un enterrement officiel avant de les pousser dans le carré des "indigents" comme si l' Oubli intégral ne suffisait pas: chacun des corps méritait bien une flammèche de Lambda Inconnu!

Il y a même des parents éloignés qui ont été prévenus par les morgues et ils ne sont pas venus. "On ne va pas faire 500 bornes pour un cousin éloigné qu'on n'a pas vu depuis 15 ans!"

MERCREDI 69 - Ce n'est pas à moi de critiquer la négligence des gens. Je suis négligent et oublieux y compris envers ma santé, mais je pense, comme la plupart d'entre nous. Je crois que je réalise seulement maintenant l'importance du trauma subi par ma pauvre tête à l'âge où les enfants commencent à voler seuls comme des grands. En même temps que ma crise d'adolescence je faisais ma crise de sénescence. Dès lors je vivrai avec le revolver sur la tempe et la roulette russe sera le quotidien de toutes mes nuits.

JEUDI 70 -

Vendrdi 71 - Une mère de trente ans résolue à en finir avec sa petite fille de trois ans, s'arrête dans sa petite et vieille voiture, à un passage à niveau au beau milieu de la voie. La maman ne veut pas qu'on la voie: alors fermement décidée elle sort pour détacher son bébé du siège et le serrer fort sur sa poitrine. Elle retourne s'asseoir au volant et attend le TGV qui est toujours à l'heure. Plus que quelques minutes: elle chuchote des mots doux à la fillette qui lui sourit à n'en plus finir. Au loin, mais si près, elle entend le souffle du train. La brume de septembre n'est pas encore levée et la femme sait bien que le conducteur n'aura pas le temps de réagir. Elle pense à leur vie manquée et aux Limbes toujours possibles. Impossible de se "rater" comme on dit. Elles se retrouvent toutes deux, joue contre joue et BOOM. Les corps en bouillie étaient mélangés à la ferraille carbonisée par l'écrasement de la vitesse.

Encore une fois, comment les journalistes peuvent-ils annoncer, sur l'air habituel, de pareilles "nouvelles" et dormir la nuit d'après. C'est un métier comme comédien et ils diront que ce ne sont que des histoires de chiens écrasés.

JEUDI 72 - Aux Etats-Unis où on a des armes aussi facilement que des téléphones portables, un enfant de quatre ans RIEN QUE POUR JOUER a tué sa petite sœur de cinq ans.

LE JEU ETAIT RÉUSSI MAIS LA RÉCRÉATION BIEN TRISTE.

VENDREDI 73 - Aujourd'hui maman est morte (et ce n'est pas l'incipit de "L' étranger")

Je suis seul avec bébé quatre ans. V... ne doit revenir de son lycée qu'à 9h. Il est 20h bébé finit de manger en chantant et riant quand sonne le téléphone. C'est la police qui m'annonce que ma mère de 75ans est D.C.D. PETIT PRINCE VEUT À TOUT PRIX PARLER AU TÉLÉPHONE ET PIQUE UNE PETITE CRISE. Je lui dis qu'il ne connaît pas ces gens là, que ce n'est pas pour lui, LUI qui n'a pas peur de la mort.

Ce fut bien plus tard dans la soirée, quand je fis la bise du coucher pendant qu'il câlinait ses peluches que je sentis sourdre une vieille envie de pleurer en lui disant de façon muette "Tu ne verras plus jamais ta mamie même le jour de Noël"

SAMEDI 74 - Les pompes funèbres me téléphonent pour me parler de la facture et ils me parlent comme si on se connaissait depuis longtemps et qu'on serait appelé à se revoir.

DIMANCHE 75 - Ma mère repose sur le ventre (devenu poupée de chiffon) de mon père mais c'est un lit superposé à deux places. Sinon on aurait réussi à me coucher dessus . Le Papa, la Maman, le Fils et le Saint Esprit très loin au-dessus de la terre, du marbre, du ciel et de la galaxie.

Il y a 42ans, il tombait des hallebardes sur les centaines de parapluies venus pour voir la boîte descendre dans la fosse mortuaire, et c'était en Mai. En ce jour de début d'automne, le soleil fait transpirer le front des fossoyeurs et nous ne sommes que 7 à jeter des roses sur le cercueil avant que la terre à moins d'un mètre de profondeur écrase les pétales sur le bois comme le font les pages d'un herbier.

S' il n'y a rien d'Autre après que le Néant alors ce l'Eternité de Non-Etre et cela je ne peux même pas l'imaginer. Comment peut-on oser penser que l'on peut concevoir "l' arrachement de tout l'être d'un être" ? Ce qui n'est pas humainement concevable existe-t-il ?

Et pourtant l'événement majeur qu'est la mort n'est qu'une pichenette à la face de l' univers, un accroc microscopique, pour ainsi dire RIEN.

- Suite au trauma, je suis parfois frappé d'amnésie, pourquoi ne l'aurais-je pas été à 10 ans après la mort de mon père?

J'AI OUBLIÉ CE QUE J'AI OUBLIÉ.

Comme quoi le "CARPE DIEM" peut devenir une HERESIE: Monsieur IL a oublié qu'il est né, Monsieur IL a oublié qu'il allait mourir.

Je me sens comme une épave au milieu de l'Océan.

Je vais devoir faire vérifier toutes les écoutilles par les spécialistes.

Plus que jamais je vis la PERTE DU MONDE quotidiennement.

Meursault (Meurseul) n'aimait plus ni le soleil, ni la plage, ni la mer: il rentrait dans "l'indifférence du monde", comme Bartelby songeait en regardant par la fenêtre un mur aveugle.

 

Après 8 jours de silence et d'écriture impossible.

 

MARDI 76 - Pourquoi quand nous devenons vieillard sommes-nous obsédés par la météo (alors que demain n'a jamais été aussi incertain: Question-Réponse) et aimons nous tant collectionner les "Tic-tac monstrueux" des pendules en tout genre?

La mort est un sujet grave, pas forcément sérieux car "Absurde" (jusqu'à nouvelles découvertes en la matière, mais elles se font rares!) LOURD, PESANT et qui n'a rien à voir avec une certaine "légèreté de l'Etre" si ce n'est celle qui nous fait survivre à l'angoisse invivable.

MERCREDI 76 - Blaise Pascal on l'appelle Pascal et Jean-Jacques Rousseau on l'appelle Jean-Jacques comme Richter qu'on appelle Jean-Paul (mais c'était un poète)...

et donc Blaise écrivait des pensées musicales: "Je vois des infinités de toutes parts, qui m'enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour."..."Comme je ne sais d'où je viens, aussi je ne sais où je vais; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité..."

206

"Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie"

210

"Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste: on jette de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais."

212

"C'est une chose horrible de sentir s'écouler ce qu'on possède."

225

"Athéisme marque de force d'esprit, mais jusqu'à un certain degré seulement"

233

"L'unité jointe à l'infini ne l'augmente de rien"

 

Et de là, moi pauvre petit lecteur de 15 ans, qui avait déjà connu la perte de père, partirent tous mes doutes et tous mes espoirs les plus fous y compris ceux que je plaçais dans l'art comme on joue aux courses de chevaux. Je n'avais trouvé que cette religion qui allait bientôt se cristalliser dans la "chambre obscure" car je trouvais les autres trop dogmatiques. Au moment où je rencontrais le cinématographe avec "Marie, mère Jeanne des anges" la liberté me semblait encore possible et je devinais dans la "force" des images (que ce soit Laurel et Hardy ou Bergman et ses "Fraises sauvages") un je-ne-sais-quoi capable de résoudre tous mes rêves.

346

"Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale."

A 18 ans on n'est pas sérieux, moi j'avais déjà 6 ans de gravité derrière moi, de lourde pesanteur qui me plaquait au sol et me retenait de prendre mon envol. Montaigne, Descartes, tous y passaient mais c'était à n'y comprendre rien.

J'ai entendu Claude Régy l'homme de théâtre, âgé de 80ans et doté d'une belle voix d'enfant doux, parler remarquablement pendant vingt minutes comme on le fait rarement à la radio: il parlait beaucoup de la lenteur, du silence, des pauses. Il disait que les Religions étaient une hérésie du Silence. Il disait aussi que le silence était subversif et qu'il savait tout cela parce que la mort était entrée en lui tout gamin en voyant un proche mourir. Je pense encore à la chanson de Philippe Léotard "Papa tu parles trop".

Et puis je me souviens aussi qu'il citait un écrivain, peutêtre John Fosse lui-même qu'il est en train de mettre en scène qui avait écrit: "J'écris pour les morts". Le journaliste balance banalement: "vous êtes hanté par la mort", le mot me fait me tordre de rire; comment la mort pourrait être morte au point de devenir spectrale? Finalement moi aussi, j'écris pour les Grands Maccabées mais les morts sont gentils contrairement à mes zombies adorés que j'aimais tant côtoyer après la mort de mon père quand je me faufilais pour aller voir des films d'épouvante interdits aux moins de 16 ans, alors que je n'en avais que 15. Même les êtres les plus méchants, les plus cruels sont redevenus "adorables". J'écris pour ceux qui savent autant que les trapézistes de mon enfance qui faisaient tous les soirs le "saut dans le vide". Et le public d'applaudir et de dire: "c'est dans de pareils moments qu'on se sent vivre": belle connerie!

On se sent vivre quand on vit BIEN, on se sent mourir quand TOUT VA MAL , comme disait J.L.G quand il intitulait son film TOUT VA BIEN. Nous devons oublier notre condition humaine (et notre condamnation à mort) et en même temps ne pas la perdre de vue et espérer follement l'épiphanie du "carpe diem".

VENDREDI 78 - Il est dit que je ne comprendrai jamais la stupidité qui fait répondre, et ce même à des "intimes", quand on leur apprend la mort d'un proche: "MAIS C'EST PAS POSSIBLE" Et bien si! en vérité, je vous le dis: c'est possible. L'Epée de Damoclès c'est pour tout le monde, et elle peut vous tomber sur la tronche et vous fendre l'anévrisme à tout moment, il serait quand même temps de le savoir! Préparez vos mouchoirs, vos testaments, et faites attention où vous mettez les pieds et la tête! LE TERRAIN EST MINÉ... pourtant on vous avait prévenus.

SAMEDI 79 - Moi aussi j'aimerais m'enfouir sous l'eau avec ma bibliothèque, mon auditorium et ma salle de cinéma comme Capitaine Némo, mais je ne peux pas, sur la plage il y a V... qui m'aime, malgré tout et TOUT et Petit Prince qui nage encore avec des brassards et la Grande Fifille éternelle enfant-femme qui est mon perroquet que je porte sur mes épaules.

Et puis, nous sommes des animaux terrestres comme l'homme NU dans le désert des films de Pasolini.

DIMANCHE 4 X 20 = 80 - Le jour du Maître, le jour du Repos (sauf pour ceux qui travaillent et par la faute de DAS KAPITAL ils sont de plus en plus nombreux, et pas forcément pour raison d'urgence) , le jour où les enfants dorment, le jour où les paysans montent voir les malades à l'hôpital et vont fleurir les tombes, le jour où les citatins vont habiter à la campagne, le jour où la bière coule à flot devant les télés allumées toute la journée, le jour où le soir on se dit que demain sera le plus mauvais jour de la semaine, le jour où le SILENCE a une chance de l'emporter sur le TUMULTE de la semaine.

LUNDI 81 - Dire et redire, parler et ré-énoncer encore la parole de Duras: "IL N' Y A PAS DE DESTIN, IL N' Y A QUE DES DÉCISIONS".

MARDI 82 - Une jeune femme (anonyme comme "on dit à la radio") vient déposer une plainte pour VIOL. Une femme flic enregistre avec soin et prévenance sa déposition et lui propose un café et sort du bureau. La JEUNE VIOLÉE en profite pour piquer un revolver dans l'armoire normalement fermée à clef, puis rentre chez elle et se tire une balle dans la bouche. COMMENT? LE SENTIMENT DE HONTE EXISTE ENCORE???

La police des polices enquête et va emmerder jusqu'à la fin de ses jours la pauvre policière qui n'avait pas fermé son armurerie à clef.

Aucun journaliste pour s'interroger sur le trauma subi et l'horrible souffrance mentale que la "VICTIME D'ELLE-MÊME" aurait dû supporter toute sa vie.

Même décider du pire peut-être la meilleure solution

MAIS

pour soi, seulement. CAR la balle du revolver ou le crissement de la lame qui s'enfonce dans le muscle et fait jaillir le sang émet et n'émettra toujours qu'un misséricordieux S.O.S; SANS COMPTER QU'ON SE TUE TOUJOURS par impossibilité à tuer tous les autres.

MARDI 82 - Comment passer de l'Erectant au Gisant, comment passer de la vie à trépas, comment passer de Tout à Moins-que-rien, comment passer l'arme à gauche, comment voir les pissenlits par un angle inédit, celui de la contre-plongée sur les racines, comment peut-on, non seulement ne PLUS ETRE, ce qui pourrait aisément se concevoir après avoir passé une vie à être, mais NE PAS ÊTRE, comme si on n'avait jamais été ? Parfois je rêve que quelqu'un me réponds; je me réveille, me rendors en me disant que finalement ce n'était pas grave.

MERCREDI 83 - Au cul du bus plein de publicité, pour que l'automobiliste coincé dans les embouteillages puisse avoir les yeux remplis d'une image, s'affiche aujourd'hui la sortie d'un film (comédie bien à la française) intitulé, avec à l'appui la figure d'un adorable enfant : "CHIEUR NÉ" . Il est évident qu'il n'y a pas encore d'association 1901 des bébés et qu'ils ne risquent pas de se révolter. Même les féministes ont renoncé à bomber, depuis que les cinémas-pornos-bordels n'existent plus. Les MAITRES qui nous gouvernent (les détenteurs de capitaux - pas les politiques) savent que TOUT est permis pour faire du profit pour DAS KAPITAL. Une société sans tabou existe-t-elle? oui, la preuve: la NÔTRE.

JEUDI 84 - Une fois de plus j'ai entraîné Petit Prince au cirque, un vrai, sans les trois pistes à la "Plus Grand Chapiteau" du monde, mais avec une belle scène, une belle entrée des Artistes et une bonne odeur de fauves un peu chassée par celle des pop-corns.

Nantes est pourtant une grande Kapital Régionale avec un maire dit de gauche mais si celui-ci avait eu le permis de chasser les forains plus loin sans doute l'aurait-il fait! Le vent et la pluie d'Automne avaient inondé le terrain mais le couvercle-céleste avait l'avantage de faire briller les projecteurs. La magie du spectacle a fonctionné et l'enfant fut Ravi très haut dans le ciel toujours étoilé du chapiteau. Les fauves étaient nombreux et les clowns étaient bons: le petit bonhomme de quatre ans, riait aux éclats, plié en deux.

Dieu que le spectacle était beau pour lui qui ne savait rien encore des coulisses.

VENDREDI 84 - Les Maîtres qui nous gouvernent viennent encore d'avoir une idée géniale qui va remonter le moral des troupes:
Au lieu de brûler les bébés nouveaux-nés morts avec les autres déchets organiques (jambes, mains, bras, estomacs, seins, testicules et le reste) on va tous les enterrer dans un CARRÉ BLANC SPÉCIAL dans les cimetières, le coin des petits éléphants blancs, là où la plus longue mémoire du monde se confond avec la vie des insectes éphémères qui naissent et meurent dans la même journée de vingt quatre heures: ELLE EST PAS BELLE LA VIE!!!! comme on dit à la télé...Rien que du Bonheur! Messieurs, Mesdames! CETTE JOIE, même au cirque Monsieur Loyal (Monsieur Royal, comme je comprenais) n'a pas osé la beugler au micro; il ne disait que des choses gentilles pour ceux qui travaillaient "dans l'ombre" des Lumières.

SAMEDI 85 - Nous sommes allés, sa petite fille de 25 ans et moi son p'tit gars de 55 ans, dans le cimetière où ma mère vient d'être inhumée. Je n'y étais pas retourné depuis l'enterrement: entre les deux dates, cinq semaines étaient passées avec en prime "le jour des morts". Je ne pensais pas qu'ils auraient déjà replacé le monument. La nouvelle inscription avait été gravée et peinte en doré, avec les deux dates comme après les noms propres dans les dictionnaires. C'était donc vrai puisque c'était ECRIT DANS LA PIERRE. Quand nous sommes arrivés près de l'emplacement du CARRÉ 58, j'ai retenu un haut le cœur: il n'y avait sur la dalle qu'un monceau de pourriture dont l'odeur était plus forte que celle des cadavres qui ne remontait pas jusqu'à nous. Elle est allée chercher la grande poubelle municipale à roulette puis s'est arrêtée net tout près du monument funéraire. Juste derrière la tombe de mon père et de ma mère, entre trois autres, il y avait à même le sol un petit ange blanc d'à peine 30 cm, accompagné d'une plaque de plomb gravée d'un nombre et une date 1997. Rien d'autre: pas l'ombre d'une dalle. Quel âge avait ce petit corps; impossible à savoir .

l'année de la mort devait aussi être celle de la naissance.

L'ange en céramique avait même une aile cassée.

Nous sommes retournés à notre besogne et avons mis en quelques minutes les gerbes et les couronnes pourries dans la poubelle. Les limaces avaient envahi la dalle et je dus les arracher avec mes doigts; cela fit horreur à ma fille. Moi, cela me faisait souvenir de mes vacances d'enfant à la campagne où nous allions à la "chasse aux escargots" : une limace ce n'est jamais qu'un escargot sans coquille. Une grosse chenille provoqua le même dégoût - "mais, c'est un papillon" pas de quoi trouver cela répugnant. Sans doute avait-elle pensé à tout ce qui grouillait sous terre, à tous ces vers qui rongent les yeux des pendus, à tous ces lombrics, à toute cette vermine qui bouffe la chair des morts. Mais non c'est seulement dans les légendes. Le temps qui continue à passer à plusieurs pieds de profondeur est bien plus destructeur.

Ici reposent mes parents: non, CELA, n'a rien à voir avec eux. Ils sont juste LÀ pour marquer le lieu (et encore faudra pas oublier de payer la concession - la perpétuité que l'on pouvait s'offrir jadis n'existe plus; 30 ans cela vous suffira. Mon père, lui, cela va faire 43 ans qu'IL est ici. QUE RESTE -t-il de Monsieur IL ?

Une chose composée de vieux os avec une chair toute parcheminée sous des vêtements tombés en lambeaux putréfiés,

mais une chose qui ferait terriblement peur si on la montrait.

Je ne veux plus jamais les voir, je veux qu'ils restent enfouis.

Puis après il nous a fallu aller voir ce qui se passait dans la Maison Vide: ... ... ... rien mis à part le bruit périodique du frigidaire. Les meubles boudaient comme dans un dessin animé. Ils n'existaient plus, ils se contentaient d'être là, maintenant, au moment où nous passions. Pour masquer le silence nous ne cessions de nous adresser la parole mais cela n'y faisait rien, nous avions beau traiter la maison comme un chien qu'on a laissé seul pendant des jours, le regard des lampes allumées, des tableaux accrochés, des tiroirs ouverts, tout transpirait l'absence. Elle, mit la main sur un panier à couture en osier puis sur une boite de billes destinée à Petit Prince, un jour où il viendrait.

DIMANCHE 86 - On peut souffrir beaucoup dans la vie sans que cela rende forcément intelligent; par contre...on ne peut pas être intelligent sans "un minimum vital de souffrance".

LUNDI 87 - En arrivant au travail, je me suis fait agressé, becs et ongles, par une secrétaire qui ne me connaît ni d'Eve ni d'Adam, mais a sans doute entendu parler de moi et s'est fait un jugement définitif qui relève du délit de sale gueulle. Toujours est-il qu'elle m'a précipité, alors que j'avais encore du dentifrice entre les dents, dans le plus profond des gouffres de l'espèce humaine. Quand un lion se jette sur un zèbre et qu'il l'écorche VIF avant de le manger cru, l'animal n'a aucune HAINE. Le pseudo regard de l'animal dénaturé femelle, alors que celui-ci n'avait jamais eu à faire avec moi, était injecté du sang de la dégoûtation du mâle abject qui était en face de lui.

MARDI 88 - L'idée de devoir mourir un soir en rentrant du travail comme on mange sa soupe, fourbu après une journée de labour, me paraît de plus en plus intenable. Gloire à ceux qui pratiquent leur métier en riant et n'ont "rien que du bonheur"!

MERCREDI 89 - J'ai fait voir à Petit Prince des images de Superman, le vieux film récent avec cet acteur qui, suite à une chute de cheval, est resté cloué au sol dans un fauteuil roulant, et au même titre que tous les super-héros, les images qu'il prenait pour paroles d'Evangile, sur le grand écran, lui faisaient ouvrir des yeux comme des soucoupes. J'ai du mal à imaginer et à me souvenir combien le petit enfant croit ce qu'il voit et ce qu'il entend dire. Or ce qu'ils entendent et ce qu'ils voient prend des dimensions superlatives.

Un jour je lui ferai voir le vrai Nautilus, je lui ferai lire le vrai Livre de la Jungle, la véritable histoire de Tarzan et les livres de Kafka...

 

 JUPITER 90 - Beagle II lancé en juin dernier va rebondir sur Mars la nuit du 25 décembre et c'est une bien mauvaise nouvelle pour les enfants qui ne pourront plus rêver aux petits hommes verts puisque les Savants américains de la NASA leur auront envoyé des images d'une planète terriblement vide et silencieuse sur laquelle il y aura tout au plus à plusieurs dizaines de mètres sous la surface de l'eau avec quelques misérables et microscopiques traces de "vie", ce qui ne changera rien à notre Solitude Universelle.

Sommes nous tous des Robinson de passage sur une planète oubliée de l' Origine? C'est une question de foi.

Vénus 91 - Ma mère n'arrêtait pas de dire: "Vous occupez pas de moi,

Changez rien pour moi,

Quand je serai vieille, faudra me faire avaler le bouillon de minuit,

Faudra me pousser dans l'escalier,

J'espère que je ne serai plus là pour vous créer des soucis,

Ah, si seulement je pouvais rejoindre ton père,

Si je mourais maintenant vous auriez plein de sous et vous seriez à l'aise,

A force des progrès de la médecine (elle y croyait sincèrement et avait de bonnes raisons, vu le moteur électrique qui faisait pulser son vieux cœur malade depuis ses 15 ans) ils vont nous fabriquer des centenaires dont personne ne saura quoi faire."

La maudite canicule de 2003 (petite peste orchestrée par l'Etat) a eu raison d'elle et de 15 000 autres vieux)

C'était ma mère ... qui ne croyait pas si bien DIRE.

 

 

C'est l'An nouveau. Seul Petit Prince y échappe encore; quant à sa sœur la Grande Princesse, je doute qu'elle soit persuadée de la future bonne année. Y en a-t-il jamais eu une seule depuis le début des temps? Si ce n'est celle quelque part dans notre préhistoire où l'Intelligence émergea dans le cerveau reptilien d'une petite Lucie.

Petit Prince ignore l'avenir mais il a compris que Noël était fini puisque le sapin ne trône plus dans le salon. Mais un jour cela recommencera et pour l'enfant c'est toujours l'Eternel Retour. Car l'enfant n'est pas la lumière mais la face la plus obscure de nous, celle qui sera au fil de la vie la plus noire et la plus cachée.

En naissant on vient à la lumière en sortant de la ténèbre matricielle pour un "jour" d'une certaine façon y replonger. De toute évidence, la lumière au bout du tunnel est une parabole de la naissance mais certainement pas de la mort.

- Et si, à la fin, on se souvenait plus de ses rêves, des films vus, des livres lus, des musiques entendues que de la vie "quotidienne"? prouvant ainsi que la vie n'est pas un songe. Certains affreux menteurs, devant leur propre conscience réflexive, affirment ne pas se souvenir de leurs rêves et même pour certains imbéciles, ne pas rêver.

Dominus 93 - La sonde spatiale Eagle II s'est lamentablement écrasée sur Mars. Dieu voudrait-il que les enfants puissent encore rêver aux martiens: les Hommes-Enfants couleur de verdure avec des Yeux Bleus écarquillés sur le Zoo humain. Non; Dieu n'existe pas et donc IL ne veut rien. Nous ne faisons qu'écarquiller nos petits yeux gris sur une Exception Universelle: Un ACCIDENT CHIMIQUE appelé la Vie. Les fourmis communiquent par "émissions" chimiques, les humains par la parole: une émission sonore sortie de l'air accumulé dans les tripes et les poumons et qui ressort bricolée par l' appareil phonatoire.

VERBIAGE ET LANGAGE ?

POST TENEBRAE FIAT LUX ?

Lune 94 - Mauvaise nouvelle: après l'échec de Beagle (en hommage au voilier de découvertes scientifiques de Darwin) voici Spirit l'astucieusement nommé qui réussit son Amarsissage et de plus nous envoie des images haute-définition.

Mais bon, même si on trouve un minuscule grain de sable ayant hébergé la vie il y a plusieurs millions d'années ce n'est pas un caillou rouge qui va changer quelque chose à notre solitude existentielle.

 

MARS 95 - La grande oreille du SETI reste sourde. "Mon Père, pourquoi m'avez-vous abandonné?"

Le silence se joint à l'absence et puis rien que du vide sans fin.

Pourtant Ne pas apprendre à croire aux enfants est un péché.

 

Mercure 96 - Sur Mars l'Explorer continue d'avancer mètre par mètre et à envoyer des images de pierres, comme si on y était: mais cela n'intéresse plus personne. C'est un tel bordel sur notre orange mécanique que personne en a rien à faire des proches planètes.

 

Jupiter 97 - Il paraît qu'une nouvelle sonde vient de tomber sur Mars en douceur : "Earth Attack!" en même temps qu'un enfant turc est mort de froid sur le chemin de l'école. Il paraît qu'après la conquête du Système Solaire par les US notre train fantôme fera un arrêt buffet.

J'en connais, qui après avoir fait plusieurs fois le tour du monde dans leur vie, veulent à tout prix rentrer chez eux, dans leur lieu natal, pour mourir; COMME SI DE RIEN N'ETAIT...

 

Vénus 98 - Il paraît que le télescope Hubble qui scrute le fond d'œil du cosmos aurait découvert une planète à je ne sais combien de millions d'années lumière sur laquelle il y aurait de la vie; Mais cela tourne à l'obsession cette idée de vouloir trouver une trace de vie dans l'univers infini!!!! Il y en a de la vie dans le ciel immense, c'est sur une minuscule planète qui s'appelle la Terre, et vu là où on en est arrivé, cela suffit peut-être. De deux choses l'une: ou on imagine les E.T - A.I hyper évolués ou alors comme des amibes à cervelle de lombrics.

Saturne 99 - On devrait tous régulièrement aller faire un tour dans le dortoir des nouveaux-nés dans les maternités et les écouter dormir et pleurer. On dirait des petites chenilles qui se tortillent MAIS SANS COCON.

Parfois j'imagine un film tourné à l'accéléré : 1 image par semaine du bébé au vieillard; dans lequel on verrait la fleur de vie grandir et se flétrir comme un tulipe dont la tête trop lourde finit par casser la tige.

Rien de plus beau et plus Aimable qu'un bébé parfait à la peau fraîche comme un parfum, au regard perdu dans le flou du monde et pourtant si pur. Certains fous et quelques idiots ont parfois cette douceur et cette franchise.

Comme si vieillir ne suffisait pas, voir la peau se rider, les cheveux blanchir et tomber, des taches rousses apparaître sur les mains, les dents être arrachées pour ne plus jamais repousser; il faut qu'en plus les prunelles des yeux deviennent laiteuses et vitreuses...

COMME SI on était puni d'avoir vécu une vie entière...

On a souvent osé me dire que par le fait que mon père soit mort jeune, je garderai pour toujours une belle image de Lui.

FAUDRAIT QUAND MEME RESTER SERIEUX !

Dimanche 100 - Dies dominicus, jour consacré à Dieu, le plus sinistre des sept pour les enfants comme pour les vieux. Le plus beau aussi car c'est celui du "far niente", le jour de la grasse matinée, le jour des promenades, le jour où les voisins sont partis, le jour du grand ménage, le jour où on ouvre les fenêtres pour changer l'air de la maison, le jour de la messe, le jour du tiercé, le jour des huîtres, le jour où l'on vend des journaux à la porte des tabacs fermés, le jour où l'on va rendre visite aux "anciens" dans les maisons, le jour où l'on va au cimetière ... le jouur de LA MORT.

Lune 101 - Le jour des sélénites et des lunatiques, le premier jour de travail où la vie reprend lentement car certains commerces sont encore fermés. Dans les années soixante du siècle dernier on rêvait de l'espace, de marcher sur la Lune (cela fut fait), de marcher sur Mars, cela va se faire sans aucune illusion, sans rien qui fasse rêver les enfants. Aujourd'hui il n'y a plus de guerre froide mais les Européens luttent avec les Américains pour conquérir et si possible, TUER LES MARTIENS. On a bien assez à faire ici bas avec nos vies d'éphémères plutôt que de se lancer dans des voyages qui mettraient plusieurs années et aller faire creuser la poussière sèche par des robots.

 

MARS 102 - Le seul mois de l'année qui porte un nom de planète ou de dieu de la guerre. Et je pense à Petit Prince et à mon envie de lui faire lire un jour des vieux livres comme La guerre des mondes, "L'homme invisible", "L'étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde" ... car la planète jovienne fascine encore les petits enfants qui sont encore loin des années lumière.

MERCURE 103 - A l'heure où les pauvres prolétaires déjà spoliés s'entassent comme des animaux dans des wagons de trains de banlieue (7h30) pour aller au labeur, les dix bombes ont explosé quasi simultanément dans les quatre gares de Madrid tuant au moins 200 homo-sapiens-sapiens pour une pseudo guerre de religion planétaire.

Paqui, infirmière:"Certains corps étaient reconnaissables, d'autres non. J'ai même vu un cadavre sur le toit de la gare. Les victimes étaient en majorité des jeunes. Ce qui m'a le plus impressionné, c'est que les téléphones portables des morts n'arrêtaient pas de sonner. Nous avons utilisé les bancs rouges de la gare pour en faire des lits. Il y avait des restes humains partout, de la fumée et du sang. Les pompiers ont distribué des gants et tous ceux d'entre nous qui étions là avons aidé comme on pouvait".

Rafael, habitant du quartier :"L'endroit était plein de morceaux de chair de tous les côtés".

Si loin le paradis, si proche l'enfer.

Une femme et son enfant viennent de mourir des "suites de l'attentat" après 5 jours et 5 nuits d'agonie. Je me demande ce que recouvre l'expression: "frères humains" ou "mes semblables". La mort d'un soldat peut être une triste chose, mais le massacre des innocents c'est QUOI ? Partout en Europe des minutes de silence pour faire penser aux ténèbres et des sirènes qui hurlent comme s'il y avait la guerre. Mais il y a bien la guerre, ailleurs et des enfants qui sautent sur des mines en Irak, en Tchétchénie ...

Et puis le lendemain, dans la foulée, pendant que la Peur mondialisée fait faire du profit, des "savants" qui s'accrochent à leur télescope, rajoutent des étoiles à notre système.
 Quaoar est situé à environ six milliards de km de la Terre, dans la zone frontière du système solaire appelée ceinture de Kuiper, peuplée d'astéroïdes et de noyaux cométaires, au delà de l'orbite de Neptune. Son orbite est circulaire autour du Soleil.

Verrier écrit : "Actuellement, je cherche un observateur persévérant, prêt à sacrifier une partie de son temps à l'examen d'une région du ciel où il y a probablement une nouvelle planète à découvrir. Je suis parvenu à cette conclusion à partir de notre théorie sur Uranus ... On ne peut rendre compte correctement des observations d'Uranus sans introduire l'action d'une nouvelle planète jusqu'alors inconnue ..."

Sedna est situé à environ 13 milliards de km de la Terre. Son aspect est rougeâtre, presque autant que la planète Mars, a précisé l'astronome. "De cette distance, le Soleil apparaît si petit qu'on pourrait le cacher complètement avec la tête d'une épingle", a-t-il ajouté.

Sedna est situé dans une région du système solaire où la température ne dépasse jamais  moins 240 degrés Celsius. Une révolution de cet objet autour du soleil prend environ 10 500 ans. Son orbite elliptique entraîne Sedna à une distance allant jusqu'à 130 milliards de km du Soleil, soit 900 fois la distance entre la Terre et le Soleil.

Des chiffres et des chiffres tout aussi vertigineux que ceux de la Banque Mondiale de Washington qui communique que près de 40 millions d'enfants meurent chaque année de maladies pourtant curables; nous sommes à des années lumière des morts de Madrid ...

 

JUPITER 104 - Mon Dieu, merci monsieur le Président qui nous promettez à la place des mensonges ordinaires une information en temps réel de la lutte contre le terrorisme, alors que le gouvernement, fort discrètement, autorise à nouveau les voyages scolaires en Espagne. Pauvres enfants on peut toujours les envoyer au casse-pipe si cela peut faire faire du profit à certains ministères de l'Etat.

"La pression des pneus a-t-elle été vérifiée, le conducteur a-t-il assez dormi? "

Comme si (cf: le film "Johnny got his gun") un explosif terroriste ne pouvait pas tomber dans un cratère creusé la veille!

Une guerre a eu lieu dans tel pays EXOTIQUE, vous pouvez donc en toute quiétude vous y rendre en voyage organisé (spécialisé dans les zones dangereuses).

Puis-je jamais me mettre dans la peau de celui qui meurt, même après toute l'expérience que j'en retire?
NON, impossible, sauf si je suis moi-même chair écartelée attendant la F I N proche et n'en ayant rien à foutre de la misère du monde.

 

Vénus 105 - Julien Masanès responsable scientifique à la BNF , à propos de la capture des sites en ligne, de migration des bases de données vers XML et du projet Xquark, commente: "Le volume d'information publié sur le Web dépasse depuis plusieurs années celui de l'ensemble des livres et périodiques publiés. Dans les entreprises, dans la recherche, Internet sert de plate-forme aux échanges et de principal mode d'accès à l'information. Cette situation nouvelle pose de manière aiguë le problème de la conservation et de la mémoire dans un environnement où aucune trace ne subsiste au-delà de la durée de vie active de l'information (c'est-à-dire jusqu'à effacement des serveurs). Si des siècles de pratique ont permis de définir des outils et des méthodes pour la constitution d'archives des supports traditionnels de l'information, l'utilisation massive des réseaux et des systèmes d'information ouverts oblige à les repenser, les redéfinir, voire, pour certains aspects, à inventer de nouvelles pratiques d'archivage."

Internet a donc bien de plus en plus de mémoire (des Tera-Octets - 1 million de millions, soit 10 puissance 12) mais pas de Souvenirs, pas d' Archives indestructibles. L'avantage de la publication sur Papier c'est aussi que celui-ci peut être lu avec des yeux d'humain sans passer par la protèse d'une machine.

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