"Mais au fond de lui-même, il savait que lorsqu'on vous enlève une chose dont dépend votre vie, il faut la remplacer par une autre, tout aussi précieuse. Et cette autre chose précieuse se développait en lui tel un fœtus dans les ténèbres rassurantes de l'utérus." Hubert Selby Jr LE DÉMON
Trève
de
définition, j'ai quand-même tendance à penser
qu'il arrive à quasi tous (certains élus
échappent à la malédiction et coulent à
longueur de temps une vie douce) au moins un terrible accident qui
fait un trou dans la coque et force le navire à couler
jusqu'au fond.
De
temps à autre je fais
surface mais me méfie terriblement de tout ce que je vois.
Les
traumatismes rendent les
hommes aussi peureux qu'un singe, la nuit dans sa caverne
préhistorique.
Jamais
dans aucun rêve
qui réitère la situation eschatologique de la perte de
l'être le plus cher au monde on ne réussira à
maîtriser la situation. Dans "Deuil et mélancolie",
Freud écrit: "En ce sens on a pu dire que le travail du deuil
consistait à "tuer le mort".
A
propos de ce reproche qu'on
me fait souvent de vouloir écarquiller les yeux des gens sur
une lucidité peut-être mortelle, je pense souvent
à Garcin, dans Huis Clos de Sartre que je vis pour la
première fois à la télé avec Michel
Auclair , qui dans leur enfer sans miroir et sans nuit, dit: - "Les
yeux ouverts. Pour toujours il fera grand jour dans mes yeux. Et dans
ma tête."
Alors
avec le Style (et la
pointe du stylet) je vais entrer pour retrouver le corps de la
mémoire (qui dirait le Texte), dans la chambre mortuaire TOUT
EN SACHANT que la mémoire ne sert à rien, pas plus que
la parole. Il n'y a que l'écriture que je puisse imaginer
être
la trace de l' Absent; l' écriture neutre de Duras, la voix
blanche dans les films de Bresson.
A bien y réfléchir cette aventure fut contre nature et banale si je pense à tous ceux qui "vécurent" autant de souffrance et pire encore. Cependant, à chaque fois qu'en voiture je suis une ambulance, pare-choc contre pare-choc, je revis, comme un mythe antique, cet horrible jour où, sur les genoux de ma mère, devant (à la place du mort disent les gens de la sécurité routière) avec notre meilleur ami au volant, nous suivions à toute vitesse de peur de le perdre de vue, le corps défunt, et pas malade comme tout le monde le croyait, de mon père et de son mari, de son amour à Elle.
J'ai beau penser aux jeunes enfants (je n'avais alors que mes douze ans) qui voient leurs parents mourir sous leurs yeux dans les guerres imbéciles et d'autres conneries qui tiennent toutes du livre des records du malheur, mes larmes font encore pleurer le bon-dieu. Rien de plus triste que cette perte si ce n'est celle de ce même homme pour sa femme et de ce même éternel enfant (unique) pour sa mère. Ainsi, quand le corps fut dans la salle à manger de ses parents, transformée en chapelle ardente, il y avait, autour du cercueil, réunis les trois plus grands malheurs du monde.
Mes plus grosses larmes je les ai versées en serrant le cou d'un chien, seul avec lui sur le balcon d'une maison bourgeoise qui donnait sur le jardin des plantes. Derrière ma cataracte, je voyais à peine les arbres de la terre. Un paon a chanté dans le parc et j'ai entendu hurler les cerbères des enfers; mais je n'étais pas Orphée. TOUT avait changé, je ne reconnaissais plus rien et je voyais la mort partout. La peluche vivante léchait mes joues salées et me disait: "c'est parce que je ne connais pas votre mort que je t'aime. Dimanche j'irai à la chasse et je te rapporterai le premier canard qui tombera du ciel; c'est bon à manger." Je savais déjà avec mon petit cœur qui battait à cent à l'heure que toute ma vie je serai crucifié vif et que je crierai tout bas "Mon père, pourquoi m'as-tu abandonné ? ".
Pourquoi n'ai-je pas perdu la mémoire des ces terribles journées? Pourquoi ces jours ont-ils rempli toutes mes absences de réponse?
Pourquoi suis-je devenu l'absence incarnée.
"Vivez, CECI est mon absence", c'est ce qui devrait être gravé dans le marbre, carré 58. Rien ne comblera jamais le trou béant que j'ai dans le coeur.
Personne n'a jamais remis sur ses essieux la charrette à l'envers.
Mais avant la fuite du lieu du "meurtre" (bien plus tard on m'a appris qu'il fallait absolument passer par le rêve d'Œdipe) il avait fallu traverser la nuit maudite, cette nuit que mon père n'avait pas réussi à PASSER.Ce matin là, personne n'aurait oser nous demander comment on avait passé la nuit. Je n'avais pas passé la nuit du tout. Je resterai longtemps coincé dans la barque sur les eaux noires et glacées et plus personne ne mettrait jamais "des cales" à mes cauchemars, comme disait Michaux.
J'ai beau chercher dans ma mémoire je ne me souviens pas avoir jamais souhaité la mort de mon père: peut-être ai-je manqué une étape? "Papa, je t'aime fort, ne me quitte pas ..." éternellement lancé dans la nuit et à la figure des gens. Quand on a tout perdu on ne peut plus rien perdre d'autre que soi-même ou que l'amour engendré. J'en étais déjà là quand mes larmes dégoulinaient le long du fer forgé. La fille de la maison (qui devait avoir vingt cinq ou trente ans ... les années se perdent avec le temps) s'occuperait de moi avec amour et compassion. Parfois, j'entendais un: "ton papa est au ciel", et ce n'était pas fait pour me rassurer, surtout qu'au "ciel" je n'y croyais guère plus que mon père lui-même. Mais QUE DIRE à un enfant, on ne va quand même pas lui parler de néant alors qu'il n'est pas entré dans l' être.
Il y a eu une fois, un "petit père" de douze ans, un soir en robe de chambre après dîner, dans une résidence encore en construction et dans la boue d'Avril, autour de Tours, qui faisait la respiration artificielle à un Dytique dans la baignoire de la salle de bain à mi-chemin entre la chambre des parents et la chambre du fils. Sans doute les dernières paroles que j'entendis de LUI, furent-elles du genre "Allez, dépêche-toi! il est l'heure d'aller au lit!". Si on avait su qu'il serait assassiné par la mort cette nuit là, personne ne se serait pressé à dormir, personne ne se serait pressé à s'absenter l'un de l'autre; et ... qui sait ? l'insecte aquatique aurait peut-être nagé plus longtemps? Question à jamais, de plus en plus sans réponse avec le temps: l'ai-je embrassé, avec mon coeur avec mes petits bras, ce dernier soir pour lui dire "bonne nuit" en même temps qu' À Dieu ?
Eternellement, les nuits me prendront toujours tout. Petit à petit cette maudite nuit consacrée allait devenir mon mythe rien qu'à moi. Eternellement, sans en connaître l'origine, tous les jours et tout le temps, une ou deux larmes réitéreront le gros chagrin. Je ne saurais plus dire aujourd'hui, quelle heure il était exactement mais vu le silence presque parfait et que le jour a mis tellement de temps à se lever, il devait bien être 3h. "Il avait TROP travaillé", m'a-t'on toujours répété pour justifier indubitablement une disparition prématurée. 39 ans, moi qui le trouvais déjà vieux, c'était la fleur de l'âge, celle que la mort préfère cueillir. En plus de son travail, il préparait un concours et nous avait même quitté plusieurs semaines, ma mère et moi. Il prenait le train pour aller à Paris et ne rentrait pas le soir: je ne comprenais pas bien. La distance, le temps, la nécessité de travailler toujours plus; à dix ans je n'y entendais rien. Je voyais les larmes tomber des yeux de ma mère, je voyais la tristesse dans le regard de mon père et puis je me consolais avec ce qu'on me disait. Et donc il fut reçu plus jeune "inspecteur principal" et on avait beau me dire que c'était "bien" comme à l'école quand on me donnait un "bon-point", j'avais du mal à m'y retrouver et admettre qu'il fallait qu'on quitte la ville natale et ma chambre d'enfant qui donnait sur le pont-levis du château et les canards qui chantaient tous les jours de pluie. Des amis très riches, qui habitaient une très grande maison qui donnait sur le jardin des plantes et jouxtait le lycée où j'allais faire ma rentrée, allaient nous accueillir et nous aider à trouver un logement. Cela tombait bien... lui, le gros qui ressemblait à Jean Gabin, il était "marchand de bien" (comment peut-on vendre du bien?) cet homme ne peut être que gentil. Le problème, c'était que ce qu'on devait habiter était encore inhabitable car pas fini de construire. Alors en attendant on dormirait dans un meublé, dans la grande banlieue de la ville. Le matin, je partais en bus avec mon père et quand je descendais avant lui pour aller dans mon affreux lycée j'étais déjà triste comme si je pressentais la CASTASTROPHE à venir. "C'était pas une vie", je le voyais bien. On avait beau dire sans arrêt que les choses allaient s'arranger, j'avais l'intuition que ce n'était pas évident. Monsieur Gabin avait un fils et deux filles, tous trois de vingt ans, c'est du moins comme cela que je m'y retrouvais (ils avaient vécu deux fois plus longtemps que moi pour arriver à être des grands). La grande et maigre blonde s'appelait Michèle et je n'avais jamais vu plus belle. Le grand fils s'appelait Jean (un peu comme moi et comme l'acteur auquel le père ressemblait) et habitait dans l'annexe au fond du jardin (et là je touchais à la vie parfaite). Quand mes parents avaient des choses importantes à dire on m'envoyait avec Jean dans "ses appartements privés" pour qu'il me fasse voir ses cages à insectes. Car Jean se préparait à être vétérinaire. J'avais bien compris que chez ces gens là on ne pouvait faire qu'un métier important. Michèle faisait "son droit" comme on disait et la petite brune rigolote, je ne sais plus, j'ai oublié. Pourtant, en ce temps là, les femmes ne travaillaient pas, et là j'avais du mal à comprendre aussi: certes, ni ma mère ni la femme du "marchand de bien" ne travaillaient au bureau mais ma grand-mère, Elle, elle travaillait dur et on me répétait assez que, toute petite, elle travaillait à l'usine. Mon dieu quel mélange: et c'est cela qui vous fabrique un homme! Ainsi, nous avions changé de vie en changeant de ville et avec la promotion de mon père on changeait de classe sociale. Bref, on était presque parvenu, sauf que le Destin et sa face de démon allait venir gâcher la fête.
Jusque là tout allait bien: sauf que l'appartement de fonction dans lequel nous allions nous installer était dans une résidence encore en construction et que je devais marcher sur des planches au-dessus de la boue des chantiers pour rentrer dans l'immeuble. Mais dans une certaine mesure les enfants rient de tout et se rient de tout. Bref il n'y avait rien de vraiment prêt pour nous accueillir et nous allions devoir habiter en meublé pour quelque temps dans la banlieue de la ville. Mon père travaillait comme un fou, ma mère souffrait de solitude et de ne pas être dans ses meubles et tous les matins il nous fallait une heure de bus pour nous rendre en pleine nuit d'hiver dans le centre où se trouvait mon tout nouveau lycée et son nouveau travail d' inspecteur des PTT. Parfois son chauffeur venait le chercher et j'allais, triste et seul à l'école.
A posteriori, je me dis que mon "papa" me manquait déjà.
Le museau en l'air, je flairais l'odeur de fin du monde.
Tout ce dont je me souviens c'est de dernières visites chez le médecin qui avaient l'air d'être un peu alarmantes et le prévenaient toujours d'un "surmenage". Trop de soucis, trop de travail, trop de fatigue et la maladie sournoise dont je ne sus jamais le nom, vont l'emporter dans quelques mois.
C'était l'hiver et les eaux de la rivière montaient en crue jusqu'au bas de la rue de notre meublé, jusqu'à la porte du magasin de pêcheurs, là où j'allais pour me distraire acheter du fil et des bouchons pour pratiquer mon sport favori. Quand on sortait de chez nous on voyait l'eau de la rivière qui montait et montait toutes les nuits. Je me rendais bien compte que mon père faisait tout ce qu'il pouvait pour rassurer ma mère mais j'avais bien deviné qu'elle craiganit le pire. Là-haut sur les hauteurs de la ville on allait être bien. L'appartement serait tout neuf et les meubles que nous avions dans l'autre ville allaient nous rejoindre. Au lycée j'avais du mal à être à la hauteur des espérances de mes parents. Tous ces changements me perturbaient mais ce n'était rien à côté de ce qui allait se passer.
C'est vrai qu'il ne se passe jamais rien. Pas d'épiphanie à l'horizon. Parfois il arrive des choses...Il y a des gens qui meurent, on s'en remet quand-même et puis on continue jusqu'au bout.
Et donc la promenade du dimanche consistait à passer voir où en étaient les travaux et j'en profitais pour m'amuser à marcher sur les planches que les ouvriers avaient montées sur des briques pour faire des ponts sur les torrents de boues. En revenant, quand le ciel était bleu et que ma mère s'enroulait dans son manteau de renards, on regardait les grands remous de la Loire en se disant que sur la colline on serait plus haut que l'eau et que là, au moins, il n'y aurait jamais d'inondation comme en bas du meublé.
Je n'arrive pas vraiment à me souvenir du déménagement car je crois que j'avais été pris en charge par Pèpère et Mèmère, comme je les appelais, les parents de ma maman. Puis tout se brouille à nouveau dans l'antique mémoire de cette horrible histoire de l'effondrement du monde. Dans le salon, mon père s'était aménagé un cosi de lecture avec une "barrière" en fer-forgé orné de plantes, un fauteuil moderne-style ultra-confortable, un meuble-bar qu'il avait dessiné lui-même, avec, posé dessus, la toute neuve radio-pick-up et le tourne-disque Tepaz qu'il avait ramené un soir à ma mère quand nous habitions l'appartement dans l'autre ville, qui donnait sur le château de Ducs. Jamais je n'ai bien compris qui étaient ces Ducs, pas plus que, pourquoi il y avait deux Signes blancs et un noir dans les eaux des douves.
A nouveau, mes parents pouvaient savourer Carmen et L'Arlésienne de Bizet qui avait été leur premier 33tours 30centimètres. Les 78tours, c'était démodé m'avait expliqué mon père le jour où on était allé écouter dans un salon un des tous premiers 45tours. C'était même pas encore de la Hi-Fi mais Dieu que ce devait être beau à en croire le regard qu'il me faisait en écoutant aussi "religieusement". Il m'avait même appris à repérer là où c'était bleu dans la Rapsodie de Gershwin. Enfin bref, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes POSSIBLES. Mais vint le temps des soucis et celui des visites chez le médecins. Le travail, toujours le travail ... et les autres; les riches mais qui avaient toujours l'air de ne rien faire. Le père, un soir il nous avait fait rentrer dans son bureau pour boir un appéritif et le regarder fumer son gros cigare (je n'en avais jamais vu d'aussi énorme). Il était satisfait de lui car il avait vendu un bel immeuble. Franchement un monsieur qui vendait des "biens" ce ne pouvait être que quelqu'un de bien. De fait je comprenais dans ma petite tête que cette famille était la providence pour mes parents si seuls dans cette ville étrangère.
Quand nous entrâmes dans le mois d'Avril mon père entreprit de se faire un bureau dans ce qui normalement était un salon. Ma mère avait cousu des double-rideaux et il ne restait plus qu'à scier des planches et à les peindre pour masquer la tringle. Cela allait lui prendre l'éternité. De telle sorte que cela devint un mythe, pour moi seul. Quand je suis forcé par le manque de temps, à laisser un travail, une œuvre, inachevé alors qu'il faut dormir, cette idée est, au sens propre, "in-supportable". Ajouter à cela, que par un mauvais hasard, ma mère, l'avait pris en photo la veille, résolvant des équations en vue d'un nouveau concours. Ainsi, elle ne savait pas qu'en faisant la dernière photographie ce serait aussi, la nuit passée, devenu l'ULTIME, celle après laquelle il n'y en aurait plus jamais d'autre possible, faute de CORPS. C'est comme le lendemain où, devant moi, elle sortit de la penderie du mort, un costume de cérémonie, en croyant bon d'ajouter: "Ce costume, il avait dit qu'il ne le remettrait que le jour de son enterrement". Terrible et tragique PERE, qui lui avait fait un soir la mauvaise plaisanterie d'avoir l'être d'être mort: quand ma "maman" avec moi, s'est mise à pleurer, il rouvrit les yeux et dit: "c'était pour voir comment tu ferais, si j'étais mort". Ce mot, là, cette chose "sans nom", il la fit 5 ou 6 ans avant, ne sachant pas que j'étais LÀ. Nous fûmes rassurés et je compris BIEN que ce n'était pas grave, et que seul un ARRÊT DE MORT, signé plus tard par le maître du temps, serait le seul à valider la très mauvaise plaisanterie, l'Innomable, faite par un être plus désespéré qu'on ne me le fit jamais croire. Plus tard, des dizaines d'années après, on m'apprit qu'on ne plaisantait pas avec cette CHOSE là: qu'il y avait une différence (une pertinence, me dira encore plus tard mon très grand professeur de philosophie) entre le GRAVE et le SERIEUX.C'est bien ce que je pense encore, en regardant sur mon mur la même GRADIVA, au pied léger, que Freud contemplait tous les jours en écrivant. Post tenebrae fiat lux. MAIS CE qu'il ne savait pas, en nous jouant ce tour de VILAIN, cette méchante farce tragico-comique,c'était que j'aurai toute la vie durant, la facheuse habitude de prendre ce GESTE, pour PAROLE d'évangile.
Alors, après une journée ordinaire, ils passèrent la soirée sans bruit, tandisque je m'échinais à RANIMER un Dytique (Coléoptère aquatique) que m'avait donné en cadeau, le grand fils de la famille "Gabin", celui qui faisait ses études de vétérinaire. Enfant de 11 ans, je me retrouvais la veille au soir de la mort de Père, à essayer, EN VAIN (mais comment pouvais-je alors le savoir?) de redonner vie à un insecte déjà mort en lui pratiquant dans l'eau du bidet, la respiration artificielle (comme quelques heures plus tard le médecin de famille à cheval sur le corps perdu du "pater"). Avec des petites mains d'enfant, j'enfonçais régulièrement de mes deux pouces, le thorax de la pauvre bête, qui sans doute, pas complètement "crevée" se mettait à nager VAGUEMENT. Puis, j'entendis de la chambre des parents, la voix de mon père, qui cria: "Maintenant, il est tard! demain il y a lycée." Non, il n'y aurait pas classe et cela pendant plus d'un mois.
Je ne me souviendrai jamais, et personne ne me le prouvera jamais, que j'ai embrassé mon père ce MAUDIT soir. Et si c'était un soir où j'étais allé au lit, furieux contre LUI, sans même lui faire un bisou? Même qu'il était rentré, furieux, dans la salle de bain et avait vidé l'eau d'un trait. On avait mis l'insecte dans une soucoupe de porcelaine blanche et il m'avait consolé en me disant qu'il allait s'en remettre. L'insecte est toujours perforé de l'aiguille dans la boite exposée au mur. Le corps du Père moins bien conservé que celui du coléoptère est toujours couché dans sa boite.
Dans le salon, il y avait des planches toute fraiches peintes pour recevoir des rideaux qui ne seraient jamais posés. Un travail jamais terminé. Pénélope ne tissait pas et ne détramait pas n'importe quelle toile. C'était celle d'un linceul. Elle attendait le retour du sage Ulysse et mettait du même coup la mort en attente. Tous les moyens sont bons pour suspendre le temps. Mais le geste avait beau être réitéré, le temps continuait à passer. Le pire c'est que cela sentait bon la peinture. Les feuilles pleines d'équations algèbriques avaient été rangées dans le tiroir du bureau, certaines allaient attendre pendant l'éternité leur résolution. Le point final n'existe pas
La nuit maudite où j'apprenais (des années et des années avant l'âge normal - celui auquel on perd le premier être chèr, généralement un grand-père) que la vie avait une F I N , je comprenais aussi que j'en serai toujours "absenté". Un jour, une nuit, je mourrai MALGRÉ MOI , car comment pouvait-on vouloir une chose pareille (du haut de mes douze ans, je ne savais encore qu'on pouvait mourir volontairement). Lui Monsieur mon Père, il voulait que sa peinture sèche et finir de résoudre ses équations pour mieux vivre avec sa femme et son enfant (c'est du moins, ce que j'imaginais qu'il pensait).
Monsieur IL, voulait que cela ne finisse pas, autant que cet après-midi, quand il était venu me rechercher à la F I N du premier film où j'étais resté seul dans la salle de cinéma à "mirer" VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE: je le tirais par la main pour le forcer à regarder le générique pour mieux faire durer le moment d'après qui est encore du cinéma.
Je regrette fort qu'on ne voit pratiquement plus jamais le mot F I N SUR LES ÉCRANS. Ce n'est certes pas par pudeur qu'on a supprimé ce mot mais bel et bien par auto-censure. Sans doute la finitude va t'elle à l'encontre du capitalisme? Non seulement les films n'ont plus de fin mais ils peuvent être recommencés at home en DVD, ou continués par les auteurs qui leur font des suites douteuses: REMAKE SUITE RETOUR et autres RELOADED.
Mais ce soir là mon plus beau film s'arrêta et quelques jours plus tard la vie de mon père avec. Nous sommes restés, moi, ma petite main dans la sienne, à regarder le générique. L'écran est redevenu blanc un instant avant que le rideau rouge ne se referme. "Tu vois, maintenant c'est fini" la salle s'est rallumée...et désormais cela F I N ira sans cesser: c'est devenu ma RITOURNELLE....
La plainte des agonisants lovés sur leur couche rejoint les vagissements des nouveaux-nés gesticulants comme des cafards retournés sur le dos.-
Petit prince à sa façon réitère la situation. Il veut toujours écouter la chanson du générique de la fin du dessin animé et du même coup regarde passer comme des pictogrammes les noms des génériques. Quand on est enfant on croit vraiment que le cinéma c'est la vie: les gosses, on peut leur faire avaler n'importe quoi, c'est comme le mariage, pour le meilleur et pour le pire. Et puis les enfants d'aujourd'hui avec le SURROUND DIGITAL 5.1, dans leur fauteuil, ils ont les fesses qui tremblent et leurs enfants à eux avec le relief ils attrapperont les dragons par la queue comme on claque une mouche.
"On s'y croirait".
Comme quand Petit Prince, 42 années plus tard regarde le SACRÉ DYTIQUE dans la boite à insectes acrrochée au mur tel un dessin de Saturnin FABRE , ou les merveilleux papillons collectionnés par "L'OBSÉDÉ" qui gardaient toute leur beauté, contrairement aux femmes qui fondaient en cendres carboniques après la mort.
CE N'EST PLUS LA RÉALITÉ, ce n'est que de la VIRTUALITE,
Un coup de fil ,
comme
on dit encore stupidement aujourd'hui, une sonnerie musicale de
portable à me percer les tympans, alors que je suis seul avec
Petit Prince à le faire manger (V... est au lycée, elle
ne rentrera pas avant 21h.)
Un policier, puis un médecin me confirment la mort soudaine de ma mère.
1961
__________________________________________________ 2003
Comme l'avait fait ma mère, j'ai ouvert tous ses
tiroirs
et ses penderies si maniaquement rangées pour lui trouver son costume pour voyager dans l'éternité.
Pour en revenir au fait, Monsieur l'Inspecteur: ma mère avait porté son choix sur un costume que papa avait décidé de ne remettre que pour son enterrement! Avouez, elle aurait pu lui en trouver un qu'il aimait.
Alors maintenant le v'là qui erre dans la nuit des temps avec un costume qu'il détestait. Et puis quand on n'a plus que les os sans la peau il n'a plus un seul costume qui tombe bien. Hors, de son vivant il se faisait tailler tous ses costumes, chez le tailleur qui était aussi le commerce du rez-de-chaussée de l'immeuble. Quand Monsieur Beccavin sortait ses grands ciseaux et qu'il mettait son mètre ruban autour de son cou, je devinais que j'allais m'ennuyer un peu, alors je regardais le Pont-Levis du château de la Duchesse Anne.
DONC, il restait les planches enduites d'une première couche de peinture grise posées en travers de son bureau sur un monceau de feuilles remplies de calculs algébriques pour protéger ce qui était avant la table de la salle à manger. Mais le changement de classe sociale (appartement de fonction, à la périphérie certes, non achevé et en plein dans la boue, et chauffeur en 404 Peugeot noire, mon mère en était encore à la 203 grise.) laissait présager un petit bureau ministre et une grande et ronde table du XVIIIeme (ma mère aimait déjà fureter chez les antiquaire, qui, aux dires de Monsieur Gabin étaient les plus belles vitrines de Tours, dont je ne connaissais encore que la monumentale bibliothèque municipale -Maison Blanche en miniature- les fontaines de la place Grammont, et mon horrible Lycée Descartes à l'entrée duquel je pleurais déjà quand je voyais mon père s'éloigner vers la Grande Poste à quelques centaines de mètres.
Nous les Humains, qui n'avons aucun sens sur-développé, pourquoi n'aurions-nous pas dans l'arrière boutique de notre conscience (la lucidité des dépressifs, la clairvoyance des fous, la prémonition des obscédés...) le pressentiment de la mort prochaine. Jadis dans les campagnes, on l'entendait venir de loin la charrette de l'Ankou.
Je lui envoyais des bisous volants que je tirais de la paume de ma main, mais pas trop, car les petits cons se moquaient de moi. Et le soir à la maison, j'attendais comme 3 ans avant, ce moment magique, cette épiphanie sonore où le vent des trompettes venait à bout de toutes les fortifications qui nous séparaient LUI de MOI, Où ses clefs cliquetaient dans la serrure quand Monsieur IL entrait et m'embrassait, LUI , sans qui, quelques nuits plus tard, je redeviendrai R I E N, NADA !
Pour ce qui était de l'appartement de fonction, visiblement les PTT s'étaient payé sa tête (si j'ose dire). S'ils n'étaient pas partis en Afrique c'était à cause de la mauvaise santé cardiaque de ma mère, et Tours la bonne vieille cité bourgeoise des bords de Loire c'était encore du domaine du possible. Mais quitter l'appartement du quatrième étage, plein centre, avec vue sur le château des Ducs pour atterrir dans une résidence noyée sous la boue d'hiver et les tracto-pelles, c'était pousser le bouchon un peu loin. Ce que voyait mon père c'est qu'il lui faudrait du temps pour aller à la Recette Principale le matin mais qu'heureusement il pourrait parfois me déposer au Lycée. Quant à ma mère elle était furieuse de ne pas avoir eu un apprtement de fonction dans le centre, style vieil immeuble dix-huitième en tuf blanc.
Mon père était très fatigué et allait parfois chez le médecin (c'est tout ce que je savais) et cela restera à tout jamais le seul intersigne.
Ma mère avait toujours l'air triste et déprimée (elle ne travaillait pas) car elle avait perdu tous ses amis nantais (dans les années 60 l'espace kilométrique n'avait pas encore été absorbé par la Grande Vitesse) et n'avait toujours pas récupéré tous ses meubles
Moi, je tristais de profs en profs et ne réussissais pas à me faire un ami.
C'était un lycée de super-zozos de luxe, mais de zozos quand-même.
Quand je rentrais à l'appartement je faisais le funambule sur les planches posées sur des briques.
- Jean le fils vétérinaire de Monsieur Gabin m'avait appris à capturer des insectes et à les faire vivre dans des vivariums que je fabriquais moi-même. Ma mère autorisait et mon père m'aidait.
- Quant à la grande et blonde sœur Michèle toujours en tailleurs verts (je ne revis une telle figure que six ans plus tard chez les héroïnes des films d'Hitckock) j'en étais de plus en plus amoureux, même si mon sexe n'avait jamais montré la moindre érection.Mais moi 11 ans et elle 30, j'avais bien conscience de la différence vertigineuse.
Pourtant il m'avait bien semblé que dans le célèbre film d'alors "LES DIMANCHES DE VILLE D'AVRAY", le soldat devait avoir la trentaine et la petite fille la dizaine.
Jour après jour ma mère agençait son intérieur et cela la faisait sourire.
Quand le chauffeur en livrée venait chercher mon père il lui payait un jus avant de prendre la route pour faire la tournée des inspections et je comprenais bien que ma mère était fière (elle dont les parents n'avaient jamais été que des ouvriers). C'est vrai que la casquette et les gants blancs cela en imposait.
Un dimanche après-midi papa quitta ses livres d'algèbre (car il créait un service à la toute neuve centrale nucléaire) pour s'installer sur la table de bridge pour dessiner deux petits balcons en fer forgé pour que ma mère puisse y mettre des pots de fleurs. Alors avec le meuble qu'il avait lui-même dessiné et fait faire par un facteur syndicaliste et le fauteuil de lecture nouveau style qu'il venait d'acheter, il se ferait un petit espace cosi pour lire en écoutant de la musique sur le nouveau Tépaz.
Maman cousait déjà les doubles rideaux qui ne seraient jamais accrochés.
* A bien y réfléchir, à cette époque de ma vie (comme on parlait d'époque dans les feuilletons de littérature populaire) je ne savais rien de la mort, ni même que j'étais mortel. Petit Prince 4ans en sait déjà plus long: il sait qu'il ne verra plus sa grand-mère (ma mère) pour "JAMAIS" car avec "TOUJOURS", ce sont deux nausées qui l'ont encore épargné et qu'elle ne sera pas là dans trois mois pour accueillir le dernier Père Noël de sa vie. Même qu'un soir il a dit : "On la verra plus , c'est dommage" ,
comme dans la chanson de Brigitte Fontaine jeune "Dommage que tu sois mort". Mourir ça m'embête.
La maladie, l'absence de ma mère pour cause de fièvre et d'hôpital, cela je connaissais. Et puis PARADOXALEMENT, mon meilleur ami de vacances chez mes grands-parents, SON PERE ETAIT MORT, et mon nouvel ami (que je me fabriquais tant bien que mal dans notre New York) SON PERE ETAIT MORT AUSSI. Celui des vacances me projetait les vieux films en 9mm/5 que faisait son père; celui de Tours me montrait parfois des photos. Nous faisions partie d'une communauté inavouable et n'en parlions à personne. lui! il est orphelin, avait lancé un professeur : "Non, moi ma maman ell est vivante" avais-je répondu.
Les ouvriers avaient commencé à déverser des gravillons, à peindre les rampes d'escalier. L'hiver était froid mais le chauffage collectif marchait bien.
Le rêve de ma mère était de paufiner l'intérieur pour pouvoir inviter dignement Monsieur Gabin, Jean le véto et Michèle mon amoureuse de trente ans.
Enfin, un dimanche, c'était véritablement le seul jour où mon père se donnait du temps pou fabriquer son salon "cosi", les barrières en S étaient installées, le fauteuil avait été livré, le meuble dessiné par lui installé avec dessus la radio pick-up. Maman avait choisi et disposé quatre plantes à fleurs qui parachevait ainsi ce "petit coin de verdure", de luxe et de calme.
Le grand soir arriva où il put enfin s'asseoir, écouter les Nocturnes de Chopin, allumer sa seule et unique pipe, savourer un muscat et lire Paul Valéry. =
Sincèrement, Monsieur l'Inspecteur je ne pourrais pas vous dire s'il a eu le temps d'avoir ce plaisir 3 ou 6 fois, mais je serais tenté d'opter pour 3 au grand maximum.
La
semaine qui suivit la
première séance du salon de musique et de lecture, mon
père est rentré très tard un soir, très
fatigué, très triste et déçu par un
papier qu'il montrait à ma mère: JE N'EN SUS JAMAIS
PLUS LONG. Ma mère me confirma qu'il ne s'agissait
QUE DE
RESULTATS
d' analyses d'une
prise de sang et tuti allait bene.
Pas d'arrêt de travail (cette expression me fait toujours penser à cette émission théâtrale que mes parents écoutaient avec passion sur Paris-Inter dans les années 1958 - ART ET TRAVAIL - et moi qui n'avait le droit d'écouter que l'indicatif j'entendais "arrêt travail" et mettais toujhours plus ou moins cela avec tous les problèmes qui tournaient autour des grèves dont mon père avait l'air d'être un meneur) donc c'était bon signe. A cette époque quand on était malade on gardait la chambre (là aussi je me laissais à penser que c'était la chambre qui nous gardait).
Le lundi matin, bien avant que je parte au lycée (et je devrais y aller en autocar alors qu'il faisait encore nuit) le chauffeur est venu chercher mon père quand je prenais encore mon bol de chocolat.
"ce soir j'irai t'embrasser dans ton lit."
Quand il est rentré je ne dormais pas encore mais je voyais bien qu'il avait l'air fatigué, mais ce n'était pas le mot exact, et je m'endormis en cherchant le mot juste comme on le faisait aux cours de vocabulaire avec le seul prof que j'adorais; Monsieur Girolle professeur de Français. Epuisé, exténué, harassé, au bout du rouleau, vanné... puis j'ai trouvé le mot et me suis endormi dessus avec des larmes qui sourdaient: LAS.
Le mardi matin c'es lui qui me conduisait au lycée, c'était à mourir tellement tout était triste, mes notes étaient mauvaises, le vent sifflait entres barres d'immeubles; Saint-Cyr en Bourg était vraiment très laide.Quand nous sommes partis ma mère dormait encore, elle avait une longue journée d'aménagement de l'appartement, de visite à l'heure du Thé chez les Gabins, puis de lèche-vitrines.
Le soir mon cours finissait à cinq heure et pour la première fois j'avais obtenu le droit d'aller retrouver mon père dans son grand bureau de Tours RP. Le bâtiment qui était une horreur de la reconstruction m'impressionnait tout de même par sa hauteur. La secrétaire de mon père (une martienne par rapport à ce CE QU'ON NOMME SECRÉTAIRE AUJOURD'HUI) me prenait sur ses genoux, malgré mes onze ans et me faisait taper fort sur sa machine à écrire pour que cela noircisse bien la papier carbonne qu'elle me glissait dans une enveloppe comme un merveilleux cadeau. Papa rentrait dans le bureau et le bonheur lui tenait le bras.
Décidément ce fut une belle soirée: comme j'avais eu un 18 en vocabulaire mon mon père me prit par la main et me me chucuta à l'oreille "on va laeer acheter un disuqe de muisque pour toi: tu choisiras ce que tu voudras".
Ce fut la musique du cirque de Moscou. J'avais un peu peur qu'il ne fut pas d'accord, mais il accepta avec plaisir. De la vraie musique de cirque comme on n'en jouait plus même en France. L'URSS brillait encore de tous ses feux même si c'était l'Etat qui prenait les artistes en charge et les "contrôlait" ce que j'ignorais de toute mon innocence enfantine. Enfin pas complètement car Pèpère Communiste et Franc-maçon m'avait assez vanté les Grandes Ecoles de Danse Russes et les films d' Eisenstein; "Le cuirassé Potemkine, Octobre, Alexandre Newski" et forcément les plus belles voix du monde c'était pas "Les petits chanteurs à la croix de bois" mais "Les chœurs de l'Armée Rouge". Je comprenais bien qu'il n'avait pas eu beaucoup d'affection pour Staline mais ceux qui savaient se taisaient et peut-être que lui Marcel ouvrier à l'EDF, il ignorait tout des camps.
Et en cette année 1961 le cirque de Moscou était plus brillant encore que Bouglionne, Pinder, Amar et Médrano; la Chine était quasi-médiévale.
Le disque noir 33 tours microsillons, stéréo, gravure universelle, sous le bras nous entrâmes dans un salon d'écoute avec grands Haut-parleurs, divan profond, moquette épaisse et cendrier en cuivre sur pied, sans conter la vendeuse plus belle qu'une hôtesse de l'air. Les extraits qu'elle nous fit écouter me faisaient sauter de joie et trépigner de plaisir. De plus le Monsieur Loyal parlait en russe et c'était le comble du bonheur.
Ainsi en rentrant à l'appartement on ouvrit un Champagne et j'eus l'autorisation exceptionnelle de rentrer dans le coin musique. Ma mère assise sur son fauteuil-bridge préféré, moi par terre en tailleur sur le tapis "art-nouveau" on applaudissait synchroniquement avec les spectateurs russes car c'était un enregistrement en direct. Ma mère retrouvait un peu son sourir et mon père se décrispait.
Un
ange passait qui sans doute ne
savait pas lui-même qu'il était suivi par une horde de
démons
Et désormais ces démons resteront accrochés à mes basques comme des chauves-souris dans les cheveux. Quelques jours plus tard ils me firent faire une photo fiers qu'ils étaient d'en avoir terminé avec la noirceur des derniers temps. Et pourtant... ce nouveau bureau qui était le lieu d'un riche avenir était (en vrai) la salle d'attente de l'exécution capitale à coup d'infarctus du myocarde par le sale destin. Et toujours cette éternelle rengaine (les médecins me reservront la même à la mort de ma mère) "Il n'a pas souffert ... il est mort pendant son sommeil". Mais quel enfant peut croire que la mort ne fait pas souffrir et que mourir quand on dort ne réveille pas ?
On devrait toujours faire très attention aux mensonges qu'on dit aux enfants, surtout dans les catastrophes. En cas contraire on se retrouve avec des adultes qui ne croient plus personne.
Autour du vin des côteaux tourengeaux, la vie avait l'air l'aire presque belle.
Mais dès le lendemain, le maudit hiver venait à nouveau frapper à la porte comme dans la cinquième de Beethoven. La pluie faisait couler la boue dans l'éternel chantier de notre nouvelle résidence. Certains jours, profitant des minuscules éclaircies, ma mère se faufilait en ville pour tisser des liens avec les nouveaux amis. Le chauffeur passait prendre mon père à la maison qui pouvait laisser la 203 toute neuve dans le parking. Le riche avenir nous tendait les bras et nous n'étions que ses Tantale sans le savoir. Elle achetait des tissus imprimés à larges fleurs de tapisserie pour coudre elle-même (puisque mère au foyer) des double-rideaux que mon père accrocherait après ses devoirs d'algèbre. Aujourd'hui elle finissait de ranger la penderie dans le bureau et d'y accrocher un costume noir à propos duquel "papa" avait di: "De toute façon celui la, je ne le remettrai que pour mon enterrement"....................................... Il paraît qu'il n'avait pas le droit de dire Cela. De fait, je pourrais dire comme certains intellectuels que je connais bien "Moi, la mort cela ne me regarde pas!"
-
Non, jamais je ne pourrai car
la MORT une nuit m'a regardé droit dans les yeux et m'a
chuchoté à l'oreille "Je t'ai à l'œil petit
garçon".
Ce n'était pas normal que mon père se rende chez le médecin trois fois de suite, il n'était jamais malade (du moins c'est ce qu'on raconte aux enfants) et s'en revienne sans ordonnance. Mais il travaillait sans cesser et était parfois très fatigué mais toujours si doux avec moi. J'étais devenu grand avec mes onze ans mais j'étais toujours fou de joie quand j'entendais ses clés dans la serrure comme du temps où je me suspendais à la poignée de la porte pour regarder par le trou de serrure si je le voyais monter les escaliers.
Une vénération, je vous dit.
Tout le malheur et toute les maladies graves de ma mère vaient fait que j'avais attéri des jours et des nuits dans les bras de mon père; alors une alchimie reptilienne s'était produite.
E N F I N le soir du Dytique (1) arriva.
Ce fut une journée comme les autres (un mardi) car de toutes les façons le Dernier Jour est un jour terriblement comme un autre. ELLE devait finir les rideaux, LUI devait donner une ultime couche de peinture au fronton des tentures, MOI finir mes leçons et tenter de guérir mon Dytique qui se mourait dans l'eau froide du bidet de la petite salle de bain. Ma passion pour les insectes faisait que j'y croyais et que je réussirai à le faire nager comme AVANT.
Et; donc ... à la vingt et unième heure de l'horloge la machine à coudre grondait encore, le bureau se remplissait du parfum de thérébenthine et le petit enfant avait désespérément entamé un dernier exercice de respiration artificielle au coléoptère moribond.
PUIS SOUDAIN, l'enfant se mit à hurler: "ça y est! miracle, papa, il respire et il recommence même à battre des élytres!!!"
comme aurait dit Zazie "MIRACLE, MON CUL!!!!"
A 22h il ne nous restait plus que 5 heures d' INNOCENCE sur terre.
L'insecte non plus, n'allait pas vivre longtemps, c'était juste un dernier pied de nez, un effet d'illusion, une RÉMISSION comme disent les cancéreux, une remise de peine au coupable.
Ai-je embrassé mon père, ce soir là? Pourvu que je n'ai pas oublié? Il paraît que les morts s'en foutent! Q U I .. S A I T ?
JE les entend encore crier tous les deux dans la chambre des parents, séparée de la mienne seulement par une cloison: " Maintenant il est tard tu dois aller te coucher." Heureusement cette soirée fut calme, sans colère ni dispute aucune. J'étais certain que mère finirait par se plaire dans la nouvelle ville, certain que je finirai par aimer ce damné lycée Descartes et j'étais fier de mon père et je l'aimais comme seuls savent aimer les fous.
FOU, je le deviendrai en pleine media noche.
J' EMMERDE LA MORT qui vous prend tout ce que vous aimez. Mais la pire des blessures que les humains ont faîte à la Bête Immonde a été l'ignorance. Mépriser à ce point ce qui fait la condition même de l'homme (soumis au tragique de la vie) m'a toujours semblé, depuis cette nuit sacrée, un signe profond de décadence.
(1) coléoptère aquatique
"Non ne rentre pas" - j'étais seul dans le vestibule avec mes larmes et ma peur infinie à voir le médecin assis pornographiquement à cheval sur mon père et lui enfonçer la poitrine comme j'avais fait avec l'insecte. S A N S E S P O I R. Puis l'horrible "Non, il n'y a plus rien à faire" fut chuchoté par le médecin. Ma mère s'est précipité sur moi emmitouflé dans ma robe de chambre de ce terrible mois d'avril. Elle me serrait dans ses bras en pleurant sans fin. Le médecin s'est installé sur la table de la salle à manger puis a rédigé l'acte de décès. LA VIE DE MON PERE ÉTAIT DÉFINITIVEMENT TERMINÉE, puis il a lui-même téléphoné à nos amis pour qu'ils viennent nous "tenir compagnie". La mère et l'une des filles sont venues sonner à notre porte à 2h30 du matin. C'était la première fois de ma vie que j'entendais une sonnette en pleine nuit, en pleine tempête, en plein orage au centre des Enfers. Ceux qui nous avaient accueillis dans la ville inconnue nous re-cueillaient dans leur beau château. La plus grande des filles de la maison m'a re-couché dans un lit Napoléon du salon, a essuyé mes larmes qui repoussaient aussi sec, a ramené sur moi le drap en me couvrant de baisers, espérant que le miracle puisse avoir une place dans ma pauvre tête.
- Seule la chienne de chasse réussit vaguement à me consoler à force de me coller comme si j'étais son nouveau maître. Elle devait aimer le son de mes sanglots et le sel de mes larmes.
-
Au matin, mes joues
étaient trempées car la mort ça fait pisser le
bon dieu, et ces larmes, personne ne pourra jamais les essuyer. d'une
certaine façon métaphorique, je naissais à la
vie, le jour de la fête des Morts. Pourquoi ne nourons-nous pas
instantanément dans de pareilles situation; je n'en saurai
jamais rien. Il n'y eut pas de maladie, il n'y eut pas de suicide:
rien que des problèmes de transport du corps de mon papa, des
problèmes de cérémonie
des problèmes de déménagements , de parents de
ma mère, de chambres, de survie. Il y a comme un gigantesque
gouffre dans mes souvenirs. On me ramena du château bourgeois
à la résidence de la haute ville qui sentait le
plâtre et la boue pour voir le corps sortir du hall
d'entrée allongé sur un brancard d'infirmier et
recouvert d'une longue couverture grise et chaude. les deux
ambulanciers firent glisser la civière dans la DS blanche et
nous partîmes pour un voyage de 90 minutes de silence et de
larmes. Ce n'était pas par désir de mise en
scène macabre que tout cela se fit mais par
impossibilité économique et matérielle de faire
autrement. Pour nous comme pour Lui, il n'y avait plus que le retour
au pays natal. Dans l'autre ville, les parents attendaient le retour
de la dépouille de leur fils. Ma mère ne cessait de
répéter qu'il avait toujours dit qu'il voulait une
cérémonie sans fleur ni couronne, ni sans passer par
l'église. Au lieu de respecter sa parole on allait faire tout
l'inverse. Le supplice de la mère et de l'enfant allait durer
trois longs jours. Chapelle ardente dans la salle à manger
(avec nous à dormir à côté), visite des
journalistes pour les photos et les articles, messe des morts
interminable et enfin le deuxième voyage en voiture puis
à pied, jusqu'au tombeau. Trois cars de tourisme empli de
fervents syndicalistes sont bêtement venus nous tirer les
dernières larmes que nous avions encore la force de produire.
Et pour couronner le tout il tombait des albardes sur la forêt de parapluies et sous le ciel noir de fin des temps.
Le cercueil s'est enfoncé dans la terre à jamais (du moins c'est que l'on me disait) jusqu'à ce jour de septembre 2003 lors des funérailles de ma mère où j'en revis le couvercle vermoulu. On vient de couper l'arbre entre la poubelle et la tombe; malade, il était malade et fallait car une branche aurait pu tomber et tuer quelqu'un. Mourir dans un cimetière: une vraie mort blanche. La foule des faux amis convoqués pour faire semblant, les larmes silencieuses des parents de mon père devant la boite en bois de leur enfant et les cordes qui tombaient sur la forêt de parapluies et les discours panégyriques à n'en plus finir: c'était horriblement caricatural.
Il est vrai qu'à partir de la seconde où nous avons franchi le seuil du portail du jardin tranquille, laissant mon père, seul dans la nuit, l'humidité et le vent glacial de ce printemps maudit, la vie allait être un abattoir sanglant.
Cette
immonde
souffrance du trauma, je ne
pourrai plus la subvertir en plaisir que dans l'art fantastique: des
séries B de la Hammer aux angoisses métaphysiques de
Tarkovski en passant par la peinture d'Odilon Redon ou la
littérature d'E.Poê. J'ai toujours eu l'impression (car
ce n'est justement qu'un sentiment) que je devais ma survie au
cinématographe. A 15 ans je connaissais déjà
Bresson, Dreyer, Bergman, Hitchcock, Ford ou Fllini. Mon tuteur
m'offrit après mon premier appareil photo
(cétait une merveille car mon père m'avait appris
à respecter son appareil 6x6 à soufflet que je
vénérais tel un Dieu, tel un objet de désir) (la
camera oscura qui révélait la réalité
vue), une caméra 8m/m réservée aux grands. mon
premier film, une bobine de 10 minutes n'était que la partie
de pétanque mais je savais (à force d'avoir
regardé) déjà faire du touné-monté.
Alors je me jetais à la fois dans l'histoire de la double
invention du cinéma: les Frères Lumière et
Mélies vers lequel j'inclinais. seuls l les FX, la magie, l'
ILM et compagnie pourraient peut-être m'aider à remonter
du gouffre.
Si
vous avez lu cette page sans passer par les premiers mètres de
la descente RETOUR AU DEPART
.
Point
d'orgue
..........
F I N
...Malus:
lien
ultime...©
Édition La Maison
Avril 2005