TOUT va mal: LA MERE, MA MERE, CELLE D'Où JE VIENS, LÀ D'où JE VIENS, CE CORPS QUI ME FIT ÊTRE,

MADRE DEUS EX MACHINA

LA MATRICE S'EST DÉSINTÉGRÉE

FONCTION VITALE TERMINÉE

L'espace et le temps (même si, maintenant qu'Elle, est mortre cela n'a plus aucune espèce d'importance) , LA PEAU ET L'OS, même si cela n'existe plus,

LA PEAU RÊCHE ET FROIDE, ÂPRE ET RIDÉE, NOIRE et d'ALBATRE. . . repose dans ce qui sera son cénotaphe.


Vous qui lisez ces lignes: avez-vous jamais touché de vos mains nues la peau d'un cadavre, qui plus est, celui de votre père quand vous aviez 12 ans, celui de votre mère, passé vos cinquante ans...


Dans tous les cas c'est un froid glacial qui me parcourt l'échine et la narcose qui noircit les doigts des mains croisées sur le ventre et les lèvres de la bouche à tout jamais sans carmin, et les paupières molles et lourdes du vieux corps...me font souvenir de la douce chaleur du sang qui nous parcourt.


Le cérémonial du VILBREQUIN A ECROUS est sans doute le moment le plus pénible du funérarium: quand les hommes en noirs s'approchent du cercueil et demandent l'autorisation de fermer le couvercle avec le catafalque de la croix et se mettent à poser les vis avec lenteur comme s'ils attendaient que quelqu'un se mettent à HURLER "NON JAMAIS CELA" mais poursuivent inexorablement leur travail quotidien, un maudit frisson fait trembler les vivants et leur donne soudain la migraine.

Puis, avec une lenteur chorégraphique ils font tourner le vilbrequin de menuisier qui bloque les écrous comme on le fait pour les roues d'une voitures avec un soin extrême qui protège la dépouille de tout danger.

Et c'est alors que comme à chaque fois je me souviens du jour de mes douze ans où on bloqua la boite en bois de mon papa, et où je mis aussitôt à penser: "Et s'il n'était pas mort, et si une fois les tombereaux de terre versés par dessus Monsieur IL se réveillait et se mette à frapper au couvercle de plomb, enfermé qu'il est dans le noir absolu du Jardin Tranquille.


A la vue du corps qui n'était plus MA MÈRE mais de toute évidence une AUTRE CHOSE "qui n' a de nom dans aucune langue", je ne pouvais m'empêcher de penser que JE venaiT de Là, de cet endroit matériel encore pour un temps, placé dans l'espace.

JE VENAIS de cette matière, de cet assemblage immonde de GÉNITRICE et de caisse en bois destinée à se confondre avec les vies animales et végétales qui sont le composte des profondeurs de la terre (la même que celle bénie du jardinier) le tout bientôt recouvert par une DALLE FROIDE et minérale.

Je me mis à penser aux multiples autres pratiques funéraires et j'avais la conviction que la nôtre était des plus stupides. L'idée du LIEU marqué, planté ou non d'une croix, était la seule que je trouvais acceptable pour ma pauvre tête qui s'en allait à l'envers.


Maintenant il me faut lire (par devoir de mémoire car je sais d'avance que j'apprendrai rien) LE JOURNAL INTIME de celle qui n'est plus.

Inmanquablement je m'arrête sur quelques apophtegmes qui refont défiler sa vie:

"Une seule chose est importante et IRREVERSIBLE: LA MORT"

"APRÈS 22 OPÉRATIONS J'AI DES CICATRICES SUR TOUT LE CORPS, MAIS LE VISAGE AVAIT ÉTÉ ÉPARGNÉ, TANT QUE C'EST CACHÉ ON PEUT FRIMER."

"QUE FAUT IL FAIRE POUR NE PAS CONSTATER AUTOUR DE SOI

que le passé attriste

que le présent emmerde

et que l'avenir fait peur ? ?"

"Quand j'aurai cessé de vivre pour les autres et de ne penser qu'à moi j'aurai remporté une belle victoire et peut-être trouvé la sérénité. Mais quand? Si cela arrive je serai sans doute trop vieille pour apprécier."

Et puis cette citation de Cocteau: "La nature se venge de l'homme qui la corrige"

et puis encore... "une vie occupée que je savoure comme un sursis accordé"..."L rue de Plus Tard mène à Nulle Part."

Le journal devient alors celui de la maladie (plus de 20 interventions chirurgicales et 18 anesthésies générales)

Pourrait-on imaginer combien il y a peu loin du bain natal à l'immersion sous la terre?

Baissons les paupières par pudeur

Fermons les écoutilles

Et descendons au fond de l'Océan Conscience.


Le journal de ma mère à tout jamais refermé par moi, me reviennent en tête ces mots de Maurice Blanchot: "- Il faut que je vous explique clairement les choses...Jusqu'au dernier moment, je vais être tenté d'ajouter un mot à ce qui a été dit.Mais pourquoi un mot serait-il le dernier ?La dernière parole, ce n'est déjà plus une parole et cependant, ce n'est pas le commencement d'autre chose...

Si je me brise sur un bégaiement, j'aurai à rendre des comptes au sommeil, je me réveillerai et tout sera à recommencer."


J'ai été forcé de téléphoner chez elle pour vérifier que les télécommunications avaient bien coupé la ligne téléphonique. Alors à cent kilomètres de chez elle, j'imaginais l'appartement VIDE et SANS AME, son lit privé du poids de son corps et la sonnerie absurde qui retentissait avec son fils à l'autre bout qui attendait que personne réponde et qu'un enregistrement confirme la non attribution du numéro.


 La dernière fois que j'ai fait les cent kilomètres qui sépare ma maison de la dernière demeure de mes parents je me suis efforcé de trouver un prétexte pour n'avoir pas que "cela" à faire. La ville natale et mortuaire de mes parents est bien morte pour moi. Plus aucune attache, plus aucune autre raison de m'y rendre que celle d'une visite dans le cimetière dans lequel sont tous ceux de ma famille qui m'ont précédé sur terre.Mais cette fois ci je décidai de faire un aller retour exprès.Rien, pas un seul arrêt entre le point de départ et le bord de la tombe, pas même dans une station service; de même au retour. Etrange paradoxe: un autre cimetière est à 500 pas de chez moi, mais je n'y ai personne, pas même mon chien, perdu dans le jardin d'un ami que je ne vois plus.

Une vieille envie de se coucher sur la dalle et d'y rester une nuit à entendre le frémissement des cyprès et les miaulements des chats qui chassent. Contrairement à ce que l'on pense il ny a ni rats ni chauve-souris dans ces villes endormies. Plus d'église à sonner les heures de la nuit mais les deniers TGV du soir et les premiers du matin.

Etrange et rare coïncidence aussi, à chaque fois que je suis dans ce même train je ne peux me retenir de regarder et de faire un signe à la Pierre.