Suite des CARNETS d'INCARNATION, retrouvés après un naufrage.

Deux expressions proverbiales m'ont toujours fait pleurer: "Tu as tout pour être heureux." et "Je me tue à te le dire." En effet, avoir tout pour une chose impossible ne m'a jamais semblé une riche idée quant à mourir à force de parler pour devenir un grand muet cela m'a toujours paru évident.

Revenant d'une consultation médicale, je rentrai chez moi fort rassuré, détendu, libéré ... mais cela ne dura que quelques minutes car sur le chemin même, j'aperçu, posés par terre avec quelque négligence professionnelle, deux traiteaux noirs dont la peinture laquée commençait à s'écailler. Visiblement, je me rendis compte en me retournant sur mon passage, que personne qui passait au même endroit que moi, ne s'intéressait à la chose et encore moins en était troublé. Et pourtant, ma santé physique en prenait un coup rude, vu que je savais, sans aucune morbidité, que sur ces traiteaux de théâtre tragique avait reposé un cercueil et qu'il venait d'y avoir péril en la demeure. Il n'y avait plus qu'à ranger le matériel pour supporter le prochain cadavre. LUI, il ne souffrait plus et avait définitivement perdu la santé. Je continuais à passer mon chemin mais plus tristement qu'avant.

Cependant, je continuais à penser que c'était mieux que RIEN. Là, au moins, dans cette maison, une chapelle ardente avait été dressée et ces gens là devaient encore avoir quelque sens du sacré ou du "religieux". Hélas, les symboles funèbres ne parlent plus à personne: plus jamais d'initiale argentée sur le fronton des portes.

Né dans la super-maternité de la polyclinique, nourri et enterré par Leclerc Eclair qui vous prend en charge du lait en poudre au costume en sapin.

ce n'était ni la Méduse, ni le Titanic, mais simplement une Plate de la loire avalée par un tourbillon. Celui que je regarde avec mon grand-père sur la photographie c'est mon père. C'est lui aussi qui un moment plus tard glissa et tomba dans l'eau noire, tout habillé. Les grands riaient et se moquaient et moi je pleurais tant je fus effrayé. Les bras de la Loire qui tous les étés entouraient des nageurs imprudents par dizaine, les bras dans lesquels j'appris, sans peur encore, à nager la brasse, les bras dans lesquels on faisait des pêches qui me semblaient miraculeuses, les bras le long desquels il ne fallait faire aucun bruit pour apercevoir chasser les brochets le soir venu.

- Mars 105 - Encore une fois, tout juste un an après sa mort et donc triste sans doute à cause de l'anniversaire,

Saturne 106 - Il paraît que la théorie du complot de la C.I.A. ou d'autres (mais quels sont les autres?) est à rapprocher de celle des faschistes de tout bord alors que chaque intellectuel de gauche ou de droite s'accorde à dire que nous sommes tous des pions (responsables) victimes consentantes!

Vénus 107 - Hier soir encore je racontais à Petit Prince l'histoire de l'univers et lui énumérais toutes les planètes. Puis il s'arrêta particulièrement sur une page des noms de la semaine "Samedi, Saturne ... Dimanche qui n'était pas écrit: "Dimanche c'est quelle planète"...

Dans la nuit, la grêle tomba si fort en rafale de billes contre les vitres, que je me voyais dos au mur me faisant exécuter à coups de mitraillettes. Je criais ma non-culpabilité et l'enfant se mit à hurler en se bouchant les oreilles. La mitraille qui tombait du ciel faisait un boucan d'enfer et tout ce que nous pouvions faire, nous les parents faits pour rassurer, c'était lui dire que la pluie finirait par cesser.

A l'aube, malgré le désordre de la nuit, tout était en place: les jouets, le chat (comme si de rien n'était) et chaque objet dans la maison. On allait risquer le reste du jour, ivres de la nuit blanche. L'enfant (comme si de rien n'était) continuait de grandir.

Saturne 108 - Comme tous les ans les médias n'en ont que pour le SIDA alors qu'hier et après-demain: SILENCE. Chaque année le virus véritable Arme de destruction massive ("sida, sidamné..."chantait Barbara.) tue plus d'êtres humains que toutes les guerres du XXeme siècle. Les boyaux de plastique multicolores et parfumés que se mettent les hommes au bout de leur phallus comme si c'était un canon de revolver avec un silencieux, sont depuis toutes ces années (bientôt 30 ans) la seule misérable réponse à la hauteur de la médecine et de l'informatique du XXIeme siècle (Merci, mon dieu).

 

Lune 109 - Un des rares métiers que j'aurais vraiment aimé faire (faut dire que dans mon enfance c'était un petit métier de misérable mais les misérables n'étaient pas méprisés) c'est celui d'homme-sandwich et me promener avec dans le dos, comme une carapace de tortue, et sur le ventre mes propres textes (avec un peu de pub pour vivre).

Enfant, traîné par mon grand-père dans des déambulations pédestres sur les trottoirs de la ville, je gémissais d'ennui à chaque fois qu'il se plantait devant une affichette pleine de mots serrés comme des sardines pour lire les dernières informations municipales et politiques. Je rêve de dazibao, MAIS,

faut pas rêver; il y en a bien qui bombent les murs mais ils se contentent de pisser dessus en faisant des cercles esthétiques, parfois, ou alors des slogans d'enfants, du genre: "NOUS NE REVENDIQUONS RIEN NOUS VOULONS TOUT"

mais aucun texte qui ne changera jamais le pouvoir des urnes.

Cette maudite bécanne à mémoire sur laquelle j'écris et qui était censée me nourrir en images est brusquement tombée en rade pour se convertir en une Remington sophistiquée sans le cliquetis (aussi connu que celui de la fermeture d'un Zippo) et le papier ad hoc. C'est le temps des vacances, des changements d'habitudes et de la perte dans le temps et l'espace.

Midi - Minuit, la vie idéale des diaristes noctambules.

Vincent le Vaurien germe dans mon esprit. "T'es bon à rien" me lançait-on souvent comme injure quand j'avais dix ans. Dix ans plus tard je me disais "Et encore ce serait pas si mal, si j'étais très bon à rien" - "même pas, c'est comme c'est comme les moins que rien, ils ne parviennent pas à être moins que zéro."Vincent pensait aux créatures tout droit sorties des camps de Giacometti. Les corps en mourant perdent quelques grammes car c'est paraît-il le poids de leur âme qui s'en échappe. Le sculpteur leur rendait ainsi la légèreté de l'être, mais en marche comme son chien famélique qui suit une trace avec son museau. Le corps du petit enfant endormi est lourd à porter: réveillé, il court avec une incroyable légèreté.

Entendu à la radio les textes mystiques d'A.E. puis Michel Piccoli racontant des histoires du génial Daniel Boulanger qui trouva le mot de Retouches pour ses poésies.

Lu un article marquant de J.L.Trintignant dans lequel il évoque Apollinaire et Le Mal Aimé qui m'a tant poursuivi:

"Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses." et dont il dit ne pas comprendre entièrement le sens.

 

 
Mallarmé prétentieux affirmait qu'il ne dormait jamais et qu'il se contentait de penser au ralenti: fort heureusement il se rachetait de suite en confiant que le sommeil est une GRACE. Le cinématographe comme art est le seul à singer le pouvoir de dormir debout et d'agir et penser en dormant. Il est déjà une descente en douceur dans le Moi des profondeurs. L'écran est comme un hublot au travers duquel je vois un autre monde.

Mars 110 - j'ai retrouvé ce matin, au sortir du chagrin d'un rêve, ces vieux vers appris par cœur pour mes vieux jours:

Que sont mes amis devenus

On a beau faire tout ce qu'on peut pour louvoyer sur l'océan du malheur proposé par les médias c'est paticulièrement difficile d'échapper aux 200 000 morts d' Asie. (Erratum: aux dernières informations, trois semaines après on annonce un nouveau total de bientôt 300 000 morts - mais il n'y a pas que le Tsunami, le SIDA tue aussi 300 000 personnes par mois dans le monde - J'espère que Dieu a toujours son boulier avec lui! et qu'il n'oublie pas ceux qui meurent de faim à la vitesse astronomique d'1 mort/seconde -) Malgré ce massacre naturel (les enfants qui se réveillent sur des tas de cadavres que l'on précipite dans la chaux vive) il y en a encore et il y en aura toujours (à moins qu'un astéroïde nous élimine comme de vulgaires dinosaures) qui resteront béats devant la très chère mère nature.  

Arcane 13 - La chose sans nom.

Même le squelette médiéval (on ne rencontre pas de figure abstraite avant celle du Campo Santo -cimetière-de Pise au XIVeme siècle, aux lendemains de la peste noire de 1348 qui tua 25 millions depersonnes) montre quelque chose qu'on ne voit pas d'habitude . Je me souviens avoir vu battre le cœur de ma petite fille en direct : il n'y avait bien que le cardiologue pour trouver cela génial - qu'elle horreur - voir battre le temps qui nous tue de façon si vivante! un muscle rouge qui pulse.

  Dès que l'homme a su regarder le ciel et interpréter les phénomènes visibles, il a pris conscience que le Soleil était l'élément nécessaire, qui lui apportait la lumière la chaleur et simplement la vie. Aucune religion primitive n'a fait l'économie de ce principe fondateur, dont l'apparition et la disparition s'identifie au passage de la vie à la mort. Égyptiens, Grecs, Aztèques, Mayas, Japonais ont fait du Soleil le Grand organisateur du monde. Et même les religions monothéistes, catholicisme en tête, ont identifié le Soleil à l'œil de Dieu et sa lumière à l'illumination de la foi.