(The book)
Section 1 à 6
(je parle de section car d'une icône à l'autre on peut aller - ou ne pas aller - dans des espaces différents, dans des alvéoles que l'on visite ou pas).
Ne nous moquons pas du
,
chevalier à la Triste Figure, porteur du sentiment tragique de
la vie; nous courons tous après des
chimères.
- Le cours des choses.
Pouvoir écrire autre chose que la douleur ? Possible, mais s'agira-t-il encore de littérature? Et sinon, pourquoi écrire? A quoi bon?
Mieux vaudrait faire de la pâ-ti-sse-rie, art éphémère qui a le mérite de ne pas prétendre à l'éternité. Car, sommes-nous véritablement capables ici-bas d'autre chose que d' "hic et nunc".
-Alors...
"Ici & Maintenant " :
1 - J'écrivais pour ne pas mourir, tout en sachant que ce n'est pas d'écrire qui m'empêchera réellement d'y passer; maintenant j'écris pour ne pas tuer. Et là au moins, ça marche, car, de fait: je n'ai encore tué personne. Souvent j'ai des mauvaises pensées qui me viennent et j'ai une irrésistible envie de tirer sur tout ce qui bouge, prenant la vie en grippe, sans pour autant savoir qui sera la cible.
Mauvaises n'est pas véritablement le mot juste: "sales" serait plus convenable, si ce n'était la morale qui fausse le jeu. Sales comme la merde, sales comme le sexe, sales comme la mort. Les pensées noires m'envahissent autant que les poils simiesques le corps de l'honorable Docteur Jekyll avec son mal d'aurore inguérissable.
Les surréalistes avaient bien proclamé que la première révolution consistait à sortir dans la foule, revolver au poing et à tirer au hasard.
Tous les jours, des fous s'y risquent, à ce jeu meurtrier, mais aucun révolutionnaire ne revendique plus ces meurtres - le désespoir doit dormir sagement comme la bête fauve dans la tête du Docteur avant qu'il trouve son philtre, avant qu'il rompe ses chaînes.
Il y a eu Opale dans le film de Renoir, qui, d'un coup de canne balançait les béquilles d'un passant ... et puis l'amateur de Beethoven d' Orange Mécanique qui massacrait un clochard avec une canne encore plus noueuse que celle de Mister Hyde ...
et d'autres mauvais rêves ...
FEU !
Il y aura un grand silence
avec après le silence encore plus
sourd.
.................................................
2- Un silence, digne d'un rêve, dont pourraient sourdre des bruits lumineux.
Tandis qu'elle se noyait devant moi sans que j'y puisse rien, les trois sous-marins noirs se retournaient dans l'eau profonde comme des chats sous le soleil.
J'ai aussi vu dans le rétroviseur de bord un jeune homme qui devait être très heureux tant son sourire était grand, du moins le pensais-je - quand je compris soudain en faisant le rapprochement avec le programme de la radio de bord et la synchronisation parfaite du rictus, que ce n'était pas là l'effet de toute une vie, mais le fait d'histoires drôles qui faisaient rire toute la file des automobilistes arrêtés au feu rouge.
3- Les séances de cinéma se déroulent maintenant sans coupure et il n'y a plus que la télévision pour laisser les gens bouche bée quand par hasard le film décroche et leur faire voir la froide surface polie.
Pouvoir fabriquer des vraies images pour des vrais spectateurs avec des yeux largement ouverts car je suis convaincu que la population de notre globe se divise en deux: les VRAIS et les FAUX, LES AVEUGLES , dont les yeux puent et les extra-lucides qui percent toute opacité.
La nuit n'a pas eu lieu.
La photo irregardable resta longtemps scellée dans l'enveloppe hermétique. Je croyais m'y habituer et pouvoir la regarder sans avoir le coeur soulevé mais "ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face", tout au moins sans laisser une empreinte dans le fond de l'oeil.
Le corps à côté comme la voix ailleurs du corps.
* Je n'ai jamais compris pourquoi les corps décapités me faisaient plus souffrir que les têtes posées loin devant.
Le Rituel d'un ordre Soufi de GURDJIEFF
Le titre sera: "...
Dieu, y
es-tu?
Impossible d'oser écrire une légende sous la photo. La Chine, peut-être? Les corps sans tête ont été laissés attachés et dans l'état d'avant, si bien qu'ils ont encore une attitude de vivant, tendus de tout leur être par l'infinie souffrance. Jambes écartées le corps crie encore. Les sexes ont tellement rétrécis qu'on les dirait décapités eux aussi. Le tronc d'arbre (certainement une souche, personne ne le croirait vivant) dégoutte encore de sang du cou coupé appuyé contre lui.
Un entrepôt désaffecté
Un vieux téléphone
Une femme en passant téléphone à personne
et découvre une enveloppe dont on ne connaîtra le contenu qu'à la fin du film.
Le crissement de l'outil sur la pierre
comme celui des dents qui grincent.
La poussière blanche qui s'envole du tuffeau
c'est un peu de l'usure du temps que l'on voit passer dans l'air.
Le second titre sera: "La pensée impossible", car il y a des jours où quand on raccroche le combiné du téléphone, il claque aussi net que le couvercle d'un cercueil dans le silence du jardin tranquille.
Quant aux têtes elles sont rangées comme des pots de confiture sur une étagère ou suspendues par les cheveux tressés comme des tasses au-dessus d'un bar.
On aura beau vomir et se retourner les entrailles comme on fait avec une chaussette à l'envers, l'impression de la photo ne s'effacera plus jamais de la rétine.
Plus ja mais .
La pulsion scopique est si forte qu'elle nous pousse de façon perverse à regarder l'insoutenable avec l'alibi de la simple curiosité.
Il faut une oreille fine pour entendre le silence dans la parole, le souffle qui nous sera repris par la mort.
Il y a dans ma tête des litres de lait sucré et de sang salé qui vont s'épandre sans fin sur les dalles blanches en céramique.
Alors que les premiers icones étaient ceux de Dieu
La voix est la présence de l'absence de l'être
comme le mot est la confirmation de l'absence de la réalité
comme l'image est la preuve du manque.
Jadis je me demandais comment filmer toutes les maisons, toutes les rues dans lesquelles j'avais vécu ;
aujourd'hui, le temps passant, je me demande comment contourner tous les obstacles du passé pour réussir à filmer une maison, une rue dans laquelle je n'ai pas vécu.
Ma ville est une solution saturée.
Leitmotiv de Manset: "Je n'ai d'yeux que pour Dieu"
et puis Ferré: "Un aveugle a marché dans le sang"
L'impossibilité de communiquer, de savoir et de comprendre sont la clé de voûte de toutes nos actions
La divulgation, la révélation, le mystère.
L'épiphanie comme la lumière dans l'oeil vide d'un mourant.
J'ai parcouru ma ville dans tous les lieux de la déréliction. Appartements délaissés par leurs locataires, commerces aux vitrines murées, entrepôts désaffectés.
Mais le plus étrange et le plus neutre sans doute était un hall de béton abandonné avant d'être occupé.
ELLE, aurait décroché le vieux combiné et une voix neutre, comme en entendent seulement ceux qui prient seuls dans les églises de village, lui aurait suggéré de prendre l'enveloppe cachée sous le vieux bureau bouffé par la rouille. Retrouver l'habitude de parler à sa mort tout autant qu'à son ange gardien. "On ne se quittera jamais, alors autant se comprendre".
Tous les jours, il y a au moins cinq cents mille vivants qui meurent dans notre doux pays mais tout le monde oublie depuis que les chevaux ont été remplacés par des Limousines dorées.
-ELLE , ouvre l'enveloppe, REGARDE, et se met à vomir.
* SNUFF PHOTOGRAPHIE * (si vous prenez le risque majeur, ouvrez vous-même l'enveloppe en cliquant dessus et refermez de même avec soin)
-ELLE , reprend son souffle, s'assied par terre, en tailleur, se souvenant de l'enfance, puis se calme et REGARDE ... en esquissant un sourire.
La caméra s'approche de ses yeux largement ouverts puis dévie vers son front où, quand elle pénètre dans son crâne, la SNUFF PHOTOGRAPHIE se révèle en fondu enchaîné.
Seules mes oreilles étaient restées intactes.
Mes yeux étaient brouillés, ma voix cassée, mon nez bouché.
Mon vieux téléphone était devenu mon transmetteur préféré et je décidai de parcourir inlassablement tous les réseaux abandonnés, persuadé qu'une fois encore LUI chercherait à me joindre,
car de toute évidence l'erreur était de penser que c'était nous qui devions le chercher au nom d'une sacro-sainte humilité.
Aucune télévision n'avait jamais reçu son image, aucune plaque sensible n'avait jamais été impressionnée, aucune parabole n'avait reçu d'écho et même le Saint Suaire de Turin avait menti.
Pascal affirmait: "Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire; et, s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi."
et encore plus: "Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible."
A propos de Dieu, il me reste une trinité de mystères à élucider: l'amour, la mort et l'orgasme. A moins que la résolution du troisième me dispense d'une quelconque interrogation sur les deux autres.
Longtemps j'ai cru que je finirais par être le même le matin et le soir, mais la journée nous fatigue comme la vie et la nuit verra toujours notre ultime métamorphose.
C'est sous cette dernière forme qu'il convient de s'interroger sur l'identité de celui qui nous parle.
Cette nuit là les arbres étaient à l'envers
le paysage tout droit sorti d'un tableau
était toujours envahi par les eaux.
Nous marchions alors sur d'énormes et noueuses racines
qui émergeaient à peine.
Longtemps j'ai cru, entre ces deux crépuscules, résoudre l'énigme du correspondant mystérieux.
La première fois ce fut quand je téléphonai à une amie pour savoir si elle était chez elle et que la sonnerie s'obstinait à me signifier que l'abonné était absent (ou ne daignait pas répondre: ce que je ne pouvais pas croire). Le soir quand je la vis, elle m'affirma ne pas avoir bougé de chez elle et que son téléphone n'avait pas sonné une seule fois. Comment dès lors, savoir qui de l'un était caché à l'autre?
Si quelqu'un me cherche et que je veuille qu'il me trouve, comment faire pour me rendre visible à lui?
- Il y en a qui disent que les yeux sont les fenêtres de l'âme et que la lumière qui lustre la pupille est celle de la vie: pas de chance pour les aveugles. Ce n'est pas facile de s'en persuader, mais il y a plus d'amour et de flamme dans les yeux blancs des aveugles que dans les prunelles noires et brillantes de certains adolescents désabusés. Bien des choses peuvent se lire sur le corps mais quand il n'y a presque plus de corps ou seulement un corps disgracieux et fatigué, il faut encore être assez clairvoyant pour lire entre les lignes de la peau.
4- La seule façon de sauvegarder le bonheur c'est de n'en pas trop parler quand il est là, tapi au fond de soi comme une grande bête fauve au fond d'une grotte, pour ne pas réveiller les mauvaises pensées qui sommeillent en lui.
Et puis, quand le bonheur est là et nous fait trembler d'émotion comme le jour d'un premier amour, nous sommes sur terre comme un funambule dans l'air qui sait que le moindre faux pas peut être fatal.
5- Avez-vous jamais sauté le pas?
Le pas dans le vide.
Exactement comme font les plongeurs
en arrière
Puisqu'il n'y a RIEN à voir... ?
Un coup de dé, une balle perdue, un virus qui passe et nous voilà plus. Ma foi dans la mort est inébranlable et pourtant je n'arrive pas à y croire. Autant que je puis croire en Dieu sans véritablement avoir la foi. Comment une énergie aussi puissante que l'Intelligence pourrait-elle passer en un instant de l'être au non-être? Impossible métamorphose et pourtant métamorphose ultime et majeure. Si mourir était possible j'irai facilement sans me réveiller au bout de tous mes cauchemars et je continuerai de dormir en rêvant comme on continue de vivre en mourant et de souffrir en n'étant plus.
- Les suicidaires ont une confiance dans la mort salvatrice qui ne cessera de me surprendre.
6- Toutes ces mauvaises pensées, aussi mauvaises soient-elles, n'ont pas le droit de m'échapper. Je les préfère à celles engendrées par la torpeur du quotidien.
7- Au moins une fois par jour, même si je ne lance plus les dés comme on écartait les entrailles des oiseaux, je pense encore à la roulette russe ou au jugement de la flèche brisée.
Et si l'heure était venue du jugement dernier? Je ne confie plus rien au hasard et rêve de fatalité.
Dieu en décidera ainsi car il faudra bien qu'un jour il remplace l'Absence du père.
8- L'Idée de progrès et d'être toujours mieux nous parcourt le dos comme un grand frisson. Moins le sang circule en nous plus nous voulons avoir chaud.
9- Je déteste les gens qui ont la manie de vous parler en s'approchant au plus près de votre visage jusqu'à ce que chaque son prononcé devienne une odeur fétide. Alors je me venge en les regardant comme on examine une plaque au microscope et ne les vois plus que dans leur misérable nudité, de celle qu'ont les corps filmés en très gros plans au cinéma, là où tous les maquillages du monde n'y peuvent plus rien.
10- Mort; les morts sont des oxymores: la mort n'existe pas, sinon on saurait où elle est. Devant le corps de ceux que l'on aimait, on se dit c'est bien lui - mais ce n'est plus lui. C'est lui sans être lui. Et lui, où est-il? Dieu seul le sait!
Dans tous les cas, de cette chose-sans-nom, il y en a plus dessus la lourde dalle que dessous.
Quant aux cendres éparpillées dans la mer: alors la Chose est là, dans chaque molécule d'eau et d'air qui nous fait vivre.
Il y en a d'autres qui donnent leur corps à la science (sans se soucier de leur âme) comme si on pouvait couper en morceaux le seul Tout qui fasse vraiment Un dans l'univers?
Chimère.
Chez nous, en Occident, nous visitons les cimetières.
Les marins, eux, regardent la mer et laissent leurs larmes s'envoler avec le vent.
Ailleurs, d'autres vivants suivent les nuages à l'image des Justes exaspérés qui regardaient fixement la fumée grise sortir des hautes cheminées.
11- Faire, quoi faire? et pourquoi faire? pour quoi?
La douceur absolue qu'on ne retrouve que dans une caresse ou un sourire c'est l'adagio du concerto n° 23 de Mozart joué par le jeune vieillard Horowitz aux doigts toujours plus déliés.
12- Souvent je dis que la vie est injuste, et je le pense sincèrement même si je sais que Tout se tient et qu'il y a comme une universelle conséquence. Le moindre geste du rameur de Claudel, aux antipodes sur sa barque, n'est pas étranger à mon destin.
13- Je me souviendrai toujours de cette petite cloche qui tintinnabulait, comme on dit dans les contes pour enfants, mais c'était dans le cimetière du Montparnasse où nous étions rentrés un peu tard pour voir la tombe de Baudelaire et voir aussi les chats qui sommeillent à côté et les amis changer l'eau des fleurs. Ayant un peu peur de nous faire enfermer et de passer une nuit froide dans la ville, nous avons cherché une sortie encore proche. Et je me souviens que j'avais cette mauvaise pensée des morts qui "ont froid dans leur drap" et qui devaient crier au plus profond de leur lit: "restez! restez encore un peu avec nous" comme les malades à l'hôpital qui redoutent tant, eux aussi, la fermeture prématurée des chambres, devenues interdite aux visiteurs.
14- Elle, elle dit qu'elle a la haine en elle.
Moi, je dis que j'ai le démon, et nous joignons ainsi nos forces pour combattre la société qui comme dit Deleuze refuse de nous lâcher quand nous sommes encore jeunes.
15- Moi aussi j'ai comme Elle, une envie folle de connaître l'origine du monde, y compris en regardant sous les jupes des filles, à ceci près que les femmes en savent déjà un peu plus long puisque même les femmes ont pour mère une femme.
16- Aucun gynécologue, aucun psychanalyste, n'éclaircira jamais le mystère de "l'obscur objet du désir" et tout essai de cryptologie me semble vain. Notre corps est un espace sans bord ni centre.
17- L'espoir est en nous et on y boit une eau profonde aussi douloureuse que la béance de Prométhée, le regard plongé dans les nuées. Cette pensée n'est pas si mauvaise, mais si la bouche et le regard de l'autre vous manquent autant que le souffle au coureur du stade, alors elle devient terrifiante.
Je cherche Dieu comme les clochards remontent le caniveau pour y trouver un précieux mégot.
Heureusement, la nuit est là pour faire penser vrai. Même par les temps les plus paisibles il y a dans l'air comme le sillage du vieux parfum de la peur primale. Nos parents les grands singes devaient se réveiller au moindre bruit fauve venu du dehors de la caverne. Certainement ils se serraient les uns contre les autres
attendant que les fauves se soient éloignés
cherchant dans le moindre scintillement d'étoile une raison pour calmer leur pauvre coeur.
18- La présence courte et intense de l'ami qui passe vous voir en "coup de vent" ne laisse pas de place au temps. C'est du déjà-vécu à l'état brut, de l'ultra-anticipation qui vous empêche d'être avec, d'être là synchrone.
Dès son départ sa présence, tel un parfum s'enroule dans le moindre objet touché par lui.
19- Il y a eu dans l'histoire du cinéma français un film qui s'appelait: Aux yeux du souvenir, c'est bien le seul titre qui vaille pour un spectacle qu'on regarde comme un rêve, paupières closes, cerveau fiévreux, simplement concentré sur le monde des idées.
20- Les mains liées par les contingences, brutalement retourné par les ans, le dos fourbu et le front collé au mur avec la tête basse, nous garderons encore et toujours les yeux fermés.
Nous avons beau savoir que ce qui nous attend est plus fort, plus grand et plus terrible que tout, nous n'y prêtons pas plus attention qu'à un fait divers.
© Les éditions de La Maison Nantes 2002