Le fantasme du Black Out semble s'éloigner tant que la source électrique fournit mais la menace est toujours là. Les aveugles et les pauvres auront peut-être le juste sentiment de se sentir plus forts ce jour là.

Le jour du Noir Absolu la vie basculera comme disent les braves gens et la grande peur reptilienne des ténèbres resurgira. Ce sera comme à la télévision de "dans le temps" quand il y avait une interruption de l'image, comme dans la salle de cinéma quand le film cassait ou que la lampe grillait, comme au temps où il y avait des pannes qui duraient des heures et des heures alors qu'il faisait nuit. Même les chiens recommenceront à hurler tellement ils auront peur et les bébés pleureront sans cesser ne voyant revenir la lumière. On ranimera la flamme des bougies et des anciennes lampes à pétrole, on vérifiera s'il reste des piles et des accus en état pour faire semblant de faire du camping. Les malades seront protégés par les groupes électrogènes, les pauvres auront encore un peu plus froid et les aveugles apprendront aux voyants l'art de marcher dans la nuit. Certains se diront qu'on aurait pas dû faire de la mort un tabou.

.....

© Angoisse Bigas Luna 1987______________________________________________ _________© Névrite optique

Les voisins qui jacassent diront qu'il y aura une crête des naissances mais ce sera en pensant aux légendes urbaines américaines qui récupèrent toutes les catastrophes au nom du Capital. On se dira qu'il serait temps d'apprendre à se passer de la lumière et à passer de la lumière aux ténèbres comme on entre, enfant, dans une chambre non-allumée et d'apprendre que "nous n'avons rien parce que nous ne sommes rien" - "nous tous passerons et nous passerons tout entier." écrivait Pessoa.

Stand-bye, No man's land de l'attente, les villes et les campagnes sont précipitées dans l'obscurité; "Cela finira bien par revenir" s'écria la mère pour rassurer ses enfants. Dans la salle de cinéma les spectateurs se retournent machinalement vers les fenêtres de lumière de la cabine de projection, mais elles sont obstruées par le noir, elles aussi. Alors, sousmis définitivement comme des adultes ayant perdu l'odeur de l'enfance, les têtes se retournent encore attendant qu'une image revienne sur l'écran noir. La silhouette fondatrice de nocher du Styx passe devant la scène; ce n'est que l'ouvreuse qui s'ennuie.

Le plus étonnant serait que le film soit celui de van der Keuken: Derniers mots, ma sœur Joke ou celui de Wendres: Nick's Movie et jette les pectateurs dans un Grand passage noir dont personne n'a rien à dire.

La véritable angoisse vous prend votre souffle quand la page blanche devient noir et que le fusain de charbon ne vous est d'aucune utilité pour griffoner votre dernier cri. Je considère par principe que "ma chandelle est morte" et qu'il faut que je fasse avec en devenant l'allié des créatures monstrueuses qui peuplent mes ténèbres.