Sarte, Camus, Malraux...Rimbaud et sa pipe à l'envers tel un phallus dans la bouche, des grands fumeurs il y en a eu tant et tant. S'ils n'avaient pas fumé tous ces écrivains, et pas des gauloises bleues, auraient-ils écrit autre chose? certes oui, "le nez de Cléopatre...Fernando Pessoa
Je le regarde avec le malaise d'un demi-torticolis
et avec le malaised'une âme brumeuse à demi.
Il mourra, et je mourrai.
Il laissera son enseigne, et moi mes vers.
A un moment donné mourra également l'enseigne, et mourront également les versde leur côté.
Après un certain délai mourra la rue où était l'enseigne,
ainsi que la langue dans laquelle les vers furent écrits.
Ensuite mourra la planète tournante où tout cela est arrivé.
En d'autres satellites d'autres systèmes cosmiques, quelque chose de semblable à des humains
continuera à faire des espèces de vers et à vivre derrière des manières d'enseignes,...
toujours une chose aussi inutile qu'une autre,
toujours une chose aussi stupide que le réel,
toujours le mystère du fond aussi certain que le sommeil du mystère de la surface...
et je vais méditer d'écrire ces vers où c'est l'inverse que j'exprime.
J'allume une cigarette en méditant de les écrire
et je savoure dans la cigarette une libération de toutes les pensées.
Je suis la fumée commeun itinéraire autonome,
et je goûte en un moment sensible et compétent,
la libération de moi de tout spéculatif
et la conscience de ce que la métaphysique est l'effet d'un malaise passager...
et je continue à fumer.
Tant que le destin me l'accordera je continuerai à fumer.
(Le patron du Bureau de Tabac est arrivé sur le seuil.)
Comme mû par un instinct sublime, Estève s'est retourné et il m'a vu.
Il m'a salué de la main, je lui ai crié:"Salut, Estève!", et l'univers
s'est reconstruit pour moi sans idéal ni espérance, et le patron du Bureau de Tabac a souri." (Fernando Pessoa)
BUREAU DE TABAC - Janvier 1928 -